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Opéra à Rouen : Don Giovanni selon Frédéric Roels

photo David Morganti
photo David Morganti
photo David Morganti

Wagner aurait dit : « c’est l’opéra des opéras »… Don Giovanni est un véritable chef-d’œuvre créé à Prague en 1787. Wolfgang Amadeus Mozart travaille une nouvelle fois avec le librettiste Lorenzo Da Ponte pour écrire cet opéra en deux actes inspiré du mythe de Don Juan. A Séville, en Espagne, Don Giovanni, séducteur, libertin, part en quête de proies féminines avant tomber dans les flammes de l’enfer. Frédéric Roels, directeur, met en scène la pièce de Mozart qui sera créée vendredi 26 février au Théâtre des Arts à Rouen et jouée par l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, dirigé par Leo Husssain. Entretien avec Frédéric Roels.

 

Est-ce que de Don Giovanni de Mozart est la pièce incontournable pour un metteur en scène ?

Je ne sais pas si elle est incontournable mais c’est une pièce phare, un monument de l’histoire de l’opéra. Don Giovanni est une œuvre dense qui comporte de l’information, du contenu à chaque mesure, chaque mot. Il y a beaucoup de matières à brasser. C’est ce qui est éprouvant parce qu’il n’y a pas de moment de repos. C’est Shakespeare au théâtre.

 

En quoi est-ce un monument ?

Mozart et Da Ponte ont passé un degré supplémentaire dans la complexité de la relation entre la musique, formidable, et le texte, formidable aussi. Ce sont deux vérités qui s’affirment, se nourrissent, se contredisent. A chaque moment, il y a des choix à faire.

 

Comment avez-vous abordé cette œuvre ?

Il faut décortiquer cette œuvre, la lire plusieurs fois. Il faut surtout faire le deuil de présenter une version définitive. Quelle que soit la version que l’on propose, même si on va loin dans ses envies, il est impossible d’arriver à épuiser le sens de cette œuvre. Il y a donc des choix à faire qui s’effectuent avec la plus grande sincérité.

 

Pourquoi avez-vous attendu aujourd’hui pour mettre en scène votre premier Mozart ?

J’ai attendu avant d’aborder Mozart. Et je l’ai fait consciemment. Pourtant, je suis fasciné par les opéras de Mozart depuis longtemps. Je pense que c’est une question de recul. Je n’avais pas suffisamment de distance pour ne pas me laisser impressionner par ce qu’il y a dans ces œuvres.

 

don giovanni decorComment se sont opérés vos choix ?

Au fil des lectures. Ce qui m’apparaissait avant tout, c’est que Don Giovanni est une œuvre qui fuit avec un personnage qui fuit. Je ne sais plus combien de fois on entend « Où est-il ? ». Tout au long de cette pièce, Don Giovanni est dans une échappatoire. Il va d’une ville à une autre, d’une femme à une autre… Quant à l’œuvre, elle est centrifuge. Mozart a cherché l’éclatement plutôt que la redite. Il y a chez lui une fuite du classicisme. On ressent bien que l’on est à la fin d’une époque classique avec ses symétries. Mozart produit une forme d’anarchie, un désordre maîtrisé. Par exemple, lors de la scène de bal, il sépare l’orchestre en trois entités qui jouent des mesures différentes. C’est d’une modernité étonnante. Superposer plusieurs rythmes ne s’entendra pas avant Stravinsky. C’est joli mais perturbant.

 

La figure du séducteur est collée au personnage de Don Juan. Qu’est-il d’autre ?

Je relativise le fait qu’il soit un séducteur. Il est davantage un prédateur. Il est en effet intéressé par les femmes. Il cherche à les collectionner, à les séduire mais il a eu de succès. En fait, il a une seule relation aboutie avec Donna Elvira qui le suit et revient le chercher. Avec les autres, c’est une succession d’échecs.

 

Don Giovanni bouscule aussi les valeurs de l’époque.

Il est le symbole d’une remise en cause d’un ordre établi. Quand il tue le Commandeur, il tue le père. C’est le symbole de celui qui donne l’ordre. Cette œuvre marque ainsi une fin de règne. Don Giovanni apparaît comme un anarchiste refusant tout principe, tout commandement, tout ordre, tout code. On entend à un moment un hymne à la liberté qui a cependant un goût amer.

 

opéra don giovanni 1Est-ce que Don Giovanni est encore un personnage d’aujourd’hui ?

Oui, ce personnage reflète le monde d’aujourd’hui qui a perdu beaucoup de ses repères. Ce monde est un monde en fuite. On se demande s’il faut aller vers plus d’économie ou moins, se recentrer sur soi… On s’interroge sur ce qui sont ses lois et ses principes fondateurs.

 

Quelle place tiennent les femmes dans l’opéra de Mozart ?

Elles sont les pièces motrices. Elles agissent. Contrairement à Don Giovanni et Leporello. Donna Anna a un rôle dans la mort du Commandeur. Elle est complice et s’interroge sur l’ordre du monde. Donna Elvira est une démonstration de l’amour fou. Cela va même jusqu’à la folie. Quant à Zerlina, elle est une manipulatrice. Elle instrumentalise le désir de Don Giovanni.

 

Est-ce que Don Giovanni est seulement un drame ?

Non, Mozart le définissait comme un « dramma giocoso ». C’est certes un drame mais ça joue, ça s’amuse. C’est d’ailleurs une des difficultés du travail de la mise en scène. Il faut trouver le chemin entre le drame et la comédie. Si on réduit la pièce à un drame, c’est trop noir, trop sombre. Si on la présente comme une comédie, on loupe beaucoup d’aspects métaphysiques de l’œuvre.

 

Don Giovanni est le premier opéra présenté avec Leo Hussain. Comme se déroule le travail avec lui ?

C’est un chef très investi dans la vie du théâtre. Et cela se sent. Il y a toujours une volonté de raconter quelque chose dans la musique.