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Alfred : « La bande dessinée est un petit théâtre »

photo Vollmerlo
photo Vollmerlo

Expositions, concerts dessinés, interventions scolaires, Alfred donne de sa personne pour Normandiebulle qui se déroule samedi 23 et dimanche 24 septembre à Darnétal. L’invité d’honneur du festival dédié à la bande dessinée est un touche à tout qui se passionne autant pour le dessin que la musique. Gagnez les dernières places et une bande dessinée en écrivant à relikto.contact@gmail.com

Selon vous, qu’est-ce qui a amené Marianne Auffret, directrice de Normandiebulle, à vous demander d’être l’invité d’honneur du festival ? 

Je ne sais pas trop ! Peut-être parce que la direction du festival a perçu le fait que le dessin, c’est ma vie ! Depuis tout gosse, je dessine. J’ai toujours aimé raconter des histoires avec le dessin. À 10 ans j’ai créé un fanzine. À 18 ans, j’ai fait de la micro-édition. Je viens d’avoir 42 ans et j’ai fait des choses dans toutes les directions. C’est peut-être mon parcours qui leur a plu.

Comment avez-vous imaginé l’affiche ? Quelles ont été vos inspirations ?

J’ai eu envie de faire une image tendre, qui puisse évoquer la rencontre, le partage autour d’un livre. Et comme il fallait la situer en Normandie, j’ai rajouté une vache au fond à droite !

Une exposition autour de votre univers aux Tennis couverts de Darnétal ; des originaux d’Italiques à la Maison des arts de Petit-Quevilly et de Le Tatouage à la Bibliothèque du centre Malraux de Rouen ; des portraits de musiciens, show case au bar Le 3 Pièces à Rouen… Ainsi que les deux ciné-concerts avec Olivier Ka et JP Nataf, et le BD concert avec Splendor in the grass… La programmation n’a jamais été aussi centrée sur l’invité d’honneur que lors de l’édition 2017 ! Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette étroite collaboration ?

On m’a dit : « qu’est-ce que tu as envie de faire » ? Alors j’ai proposé plein de trucs ! Je m’investis volontiers quand on me propose quelque chose. Me demander d’être invité d’honneur est une offre généreuse, donc je me dois de passer du temps et de l’énergie. C’est un luxe, un cadeau. J’ai eu envie de m’impliquer pour de bon.

Vous avez participé à de nombreux ouvrages collectifs autour de la chanson chez Petit à Petit (Higelin, Téléphone…) et chez Delcourt (Noah et Dylan), et seul au dessin avec David Chauvel (Daho l’homme qui chante, Delcourt ) et récemment avec Brigitte Fontaine (Boulevard des SMS, Casterman). Quels rapports entretenez-vous avec la musique ?

J’ai toujours fait de la musique, et j’en écoute énormément. Le dessin a toujours pris un peu plus de place que la musique dans ma vie artistique, mais je ne peux pas passer une journée sans jouer, ou écouter un disque.

Votre dessin est enlevé, et se libère souvent des cases. Est-ce que vous dessinez en musique ? Est-ce que la musique vous guide et vous influence ?

En dessinant, en effet, j’écoute toujours des choses qui ont un lien avec mon projet d’album. Et ça a fatalement une incidence sur la façon de canaliser mon énergie, mon dessin. C’est peut-être pour cela que je fais tant de choses différentes, parce que les conditions dans lesquelles je dessine chaque album ne sont jamais les mêmes.

De la même façon, vous avez des parents comédiens et vous même avez fait des performances avec Olivier Ka, votre scénariste sur 3 albums dont le superbe Pourquoi j’ai tué Pierre. Est-ce que, comme Franquin le faisait, vous mimez vos personnages avant de les dessiner ?

Non, je ne fais pas comme Franquin ! Mais tout gamin, je dessinais mes parents, et d’autres acteurs en train de jouer sur scène. Je me mettais en coulisse et j’observais leurs attitudes, leurs comportements. J’avais 6 ou 7 ans. Je passais beaucoup de temps à cela. Et puis j’ai toujours considéré que la bande dessinée était un petit théâtre, que les personnages jouaient la comédie avec, comme théâtre, chacune des  cases…

Vous participez très régulièrement à des albums thématiques collectifs : Tranches napolitaines (Dargaud), Tu mourras moins bête ! (Delcourt), Rire contre le racisme (Jungle !), Premières fois (Delcourt). Vous semblez très à l’aise dans l’exercice de l’histoire courte…

Quand j’ai commencé, la presse n’existait pas trop, et il n’y avait que les collectifs qui permettaient d’expérimenter des choses en 2 ou 3 pages. Tester un outil, un découpage, aucun enjeu sinon essayer des choses et se faire plaisir. Par ailleurs, j’ai toujours eu envie de faire un livre d’histoires courtes en solo, un album qui regrouperait 12 histoires de 10 pages par exemple, avec des couleurs différentes, des contextes différents. Ce type d’album n’est pas très vendeur, mais qui sait, peut-être qu’un jour…

« J’avais ma place ici »

Comment avez-vous vécu le fait que Lewis Trondheim, grande figure de la BD contemporaine, vous demande de participer à son Atelier Mastodonte (Dupuis), aux côtés de Pédrosa, Feroumont, Tébo, Yoann, Neel, Jouvray, Jousselin, Mazan etc. ?

Avec Lewis, on se connaît depuis très longtemps. Mais j’ai été extrêmement surpris qu’il me propose le projet, parce que je n’avais jamais fait vraiment d’humour, ni d’histoire sous forme de strip. C’est étonnant, Lewis a une sensibilité très pointue et avait perçu que j’avais envie d’essayer ce type de choses sans jamais en avoir parlé. Je l’aime beaucoup, il est précieux, intelligent. Il protège son hypersensibilité qui le met en inconfort derrière l’image de quelqu’un d’un peu bourru, d’un peu distant. Mais il n’est pas comme ça. Et puis il est arrivé un moment où j’étais en panne sèche, ou je chercher du renouveau. Son invitation a été importante pour moi.

Autre consécration, le Fauve d’or à Angoulême 2014 pour Come prima (Delcourt). Est-ce que cela représente un tournant dans votre carrière, ou une continuité ?

Le fauve d’or a été un coup de projecteur énorme, qui fait que l’on passe d’un statut à un autre. Il a fait découvrir mon travail à un plus large public, partout dans le monde. Mais ça m’a aussi surtout apaisé sur plein de choses, il m’a donné le sentiment que le milieu de la bande dessinée me légitimait enfin, moi qui suis autodidacte. J’ai eu enfin l’impression que clairement, j’avais ma place ici.

Le fait d’avoir croisé tôt la route des « locomotives » que sont les scénaristes hyper-productifs, Corbeyran en 1995 et David Chauvel en 2000, a dû aussi être enthousiasmant…

Oui, c’est une chance énorme. David est d’ailleurs encore un ami proche, et il est mon éditeur chez Delcourt.  Mais j’aimerais aussi parler d’Olivier Ka. Il y a 20 ans, ma rencontre avec lui m’a autorisé à envisager d’autres sortes de récit, de dessin, plus instinctif, qui s’amorçaient dans mon travail, mais qui ne se sont véritablement développées et déclenchées qu’avec Olivier.

Vous avez été édité par des maisons d’éditions indépendantes comme Ciel Ether, Le Cycliste, (Treize étrange), les Editions de la Charrette, Petit à Petit, les Editions de la Débrouille. Mais c’était surtout à vos débuts. Y retournerez-vous un jour ?

Oui ! C’est juste une question de temps. Je fais toujours des choses pas payées à droite et à gauche, mais j’ai tellement de sollicitations pour réaliser des albums qui me tiennent à cœur que je n’arrive pas à me dégager du temps. Oui, j’y retournerai avec grand plaisir…

David Vandermeulen, directeur de collection de La Petite bédéthèque du savoir vient également de la microédition, et vous a demandé de dessiner l’album sur Le Tatouage (scénarisé par Jérôme Pierrat, éd. Le Lombard). Pouvez-vous nous parler de votre collaboration ?

Avec David Vandermeulen, on se connaît depuis longtemps aussi. C’est au festival de Blois qui m’a parlé de sa Petite bédéthèque du savoir. Et que sur les 20 ouvrages de la première série qu’il avait prévu de sortir, quelques places étaient encore vacantes au dessin, dont celle pour l’album consacré au Tatouage. Chose incroyable, deux semaines avant, j’avais assisté à une conférence de Jérôme Pierrat, spécialiste du tatouage, sujet que je ne connaissais pas du tout avant ! Ça a été une coïncidence incroyable et je lui ai dit ok pour dessiner cet album. Moi qui ne suis pas tatoué, j’ai appris plein de choses !

Quels sont vos aspirations et vos projets futurs ? 

Je travaille sur un prochain livre solo sur lequel j’ai une année de travail. Ce sera un livre cousin de Come prima, qui se passera aussi en Italie mais qui ne sera pas une suite ni un complément. J’ai aussi un projet avec Lewis, un autre avec Pedrosa pour Spirou. Et aussi des expos, des spectacles… Je ne vais pas m’ennuyer !

 

Propos recueillis par Laurent Mathieu

 

  • Normandiebulle, samedi 23 et dimanche 24 septembre de 10 heures à 18 heures aux Tennis couverts à Darnétal. Tarifs : 6 €, 4 € la journée, 8 €, 6 € les deux jours. Renseignements sur www.normandiebulle.com