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Bouba Landrille Tchouda : « La danse m’a permis de me rencontrer »

J’ai pas toujours dansé comme ça est un autoportrait. Celui de Bouba Landrille Tchouda, danseur, chorégraphe et fondateur de la compagnie Malka qui est désormais artiste associé au Rive gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray. Présenté le 2 mai à l’espace culturel Jean-Prévost et le 3 mai au centre culturel Georges-Déziré, J’ai pas toujours dansé comme ça mêle les souvenirs d’un enfant arrivé en France le 26 novembre 1985 et d’un danseur aux multiples rencontres. Entretien.

À quel moment la danse a fait partie de votre vie ?

Cela a commencé au début de l’année 1985. J’habitais à La Villeneuve, près de Grenoble. J’ai commencé la danse pour être avec mes copains. On se retrouvait après l’école. On dansait pour tuer le temps, sans vraiment réfléchir à ce que pouvait devenir cette pratique. À cette époque-là, il y avait HIP HOP à la télévision. Juste après l’émission (de Sydney, ndlr), on se retrouvait avec les copains pour reproduire ce que l’on venait de voir. C’était un défi entre nous. Cette notion de défi était importante parce que j’étais aussi un sportif. Je faisais du foot et de l’athlétisme. Je cherchais toujours à faire mieux et j’avais de l’énergie à revendre.

Quel parallèle faites-vous entre la danse et le sport ?

Il y a la même énergie. Quand j’étais enfant, ma famille pensait que j’étais autiste. Pendant des années, je n’ai pas beaucoup parlé. Je donnais mon avis sur rien. Je n’avais d’ailleurs jamais été éduqué à cela. J’avais surtout une timidité maladive. La danse a ainsi été un moyen d’expression pour moi. Elle m’a donné le courage, la force de dire ce que je pensais. J’ai commencé à donner des avis à l’école, à la maison, avec mes amis. Contrairement au sport, la danse m’a permis de puiser à l’intérieur de moi, de me trouver, de me rencontrer, d’être à l’endroit du sensible.

Quand avez-vous décidé d’en faire votre métier ?

À un moment, j’ai compris que la danse était pour moi le meilleur moyen d’expression, la meilleure façon d’être quelqu’un, d’exister. La danse est alors devenue un projet de vie. Depuis 1994, j’en vis. La danse a toujours été une passion mais ce sont les autres qui m’ont faire croire que j’avais quelque chose en plus. Oui, la danse me transportait mais je ne pensais pas en faire mon métier. J’appartiens à une famille de scientifiques, de médecins, de mathématiciens, de comptables. Et moi, je suis danseur. Mes parents ne se sont jamais opposés à mon projet. Ils avaient juste peur que je ne m’en sorte pas. Quand ils ont vu que je gagnais bien ma vie, ils ont arrêté de m’embêter avec ce sujet. Je suis originaire du Cameroun. Là-bas, les hommes dansent mais interprètent des danses traditionnelles. Ma famille trouvait assez bizarre ce que je faisais. Aujourd’hui, elle est devenue ma première supportrice.

Comment êtes-vous passé de la rue à la scène ?

Les directeurs des MJC, des centres sociaux ont commencé à nous demander de faire des démonstrations dans les fêtes de quartiers. Après, nous avons eu envie d’aller au-delà du show, d’écrire des spectacles, puis de témoigner de choses que nous comprenions pas dans la vie, dans la société. Plus je dansais, plus je voyageais, plus je croisais différentes cultures et esthétiques et plus je me sentais éloigné de ma famille. J’ai eu besoin de questionner l’altérité, cette manière d’être ensemble, nos identités, nos cultures, nos danses, nos corps, la poésie du corps.

Les rencontres ont été aussi très importantes dans votre parcours.

Après le premier spectacle en 1999, donné à la Maison de la danse à Lyon, il y a eu une tournée en France et à l’étranger. On était encore scolarisés. Puis, il y a eu des rencontres avec des compositeurs, des dramaturges, des chorégraphes. J’ai travaillé avec la compagnie Accrorap, avec Jean-Claude Gallotta. J’ai signé la dernière pièce du Cirque Plume. Toutes ces rencontres ont nourri ma démarche d’artiste, de chorégraphe. J’ai aussi vécu pendant plusieurs années au Brésil où j’ai étudié la capoeira. Mon travail emprunte au hip-hop, à la capoeira et à la danse contemporaine.

Pourquoi avez-vu eu besoin de raconter votre parcours dans ce solo J’ai pas toujours dansé comme ça ?

Aujourd’hui, j’ai 45 ans. Je vis dans ce milieu depuis quelques années. J’ai croisé beaucoup de personnes. Ce solo est une manière de dire merci à tous ces gens qui m’ont aidé à avancer dans la vie. Par ailleurs, j’avais besoin d’un point d’étape. Je me suis demandé ce que j’allais laisser. Je suis parent et je me dois de transmettre tout cela aux plus jeunes pour leur donner des outils qui vont leur permettre à leur tour d’avancer dans la vie. 

Qu’est-ce qui est important de transmettre ?

Nous traversons des temps où certains œuvrent dans l’ombre à opposer les gens. La culture est ce qui reste lorsque l’on n’a plus rien. C’est important d’apprendre à être curieux de son prochain, d’aller rencontrer l’autre dans son entièreté. Je pense que la danse traduit la richesse des gens. Et la différence est une richesse et non une menace. C’est pour cela que j’ai créé la compagnie Malka. Je veux être un médiateur pour créer ce lien. Il est possible de dialoguer par le corps à un endroit où la langue ne peut être un vecteur. Là, les émotions traversent.

Vous racontez tout votre parcours ?

Lorsque je suis arrivé en France, je parlais peu le français. Je pense à mes parents qui m’ont confié à mon oncle et à ma tante afin que je devienne un homme. Je pense à toutes ces rencontres avec ces personnes qui m’ont éduqué. Je pense à mes instituteurs qui ont pris du temps avec moi. J’ai vu Jean-Claude Gallotta alors que je n’étais qu’un gamin de quartier qui tournait sur sa tête. Lui s’est intéressé à des gosses de la rue. Je danse toutes ces énergies.

Vous êtes artiste associé au Rive gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray. Comment envisagez-vous cette mission ?

Avec la directrice du Rive gauche, Raphaëlle Girard, j’ai en commun le goût pour l’éducation populaire, pour la découverte de l’autre par les sens. J’aime créer des projets artistico-pédagogiques afin de partager des questions de manière générale.

Infos pratiques

  • Jeudi 2 mai à 18 heures au centre culturel Jean-Prévost à Saint-Étienne-du-Rouvray
  • Vendredi 3 mai à 19h39 au centre socioculturel Georges-Déziré à Saint-Étienne-du-Rouvray
  • Spectacle gratuit