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Bruno Putzulu : « mon père a souffert de racisme »

photo Radici
photo Radici

C’est un récit aussi drôle qu’émouvant. Comme pouvait l’être François Cavanna, écrivain et dessinateur (1923-2014), pour Hara-Kiri et Charlie Hebdo. Son premier roman, Les Ritals, fut un grand succès populaire. Dans ce livre, Cavanna, fils d’immigré italien, raconte son enfance ans l’est de la France. Bruno Putzulu s’empare de cette histoire, l’adapte pour la scène et la confronte à l’accordéon de Grégory Daltin. Le duo, mis en scène par Mario Putzulu, joue jeudi 4 octobre à DSN à Dieppe, vendredi 5 octobre à La Forge à Harfleur et samedi 6 octobre à L’Eclat à Pont-Audemer. Entretien avec le comédien.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez lu Les Ritals ?

J’ai ressenti beaucoup d’émotion. L’histoire des Ritals ressemble à celle de ma famille. J’y ai en effet trouvé de nombreuses résonances. Mon père est italien, ma mère, française. Il était ouvrier, elle a fait des ménages. Et le nom de famille sonne différemment dans la cour de l’école.

Comment définissez-vous l’écriture de Cavanna ?

Elle est drôle, incisive, parfois aiguisée, émouvante mais jamais mièvre. Je n’ai pas voulu garder le découpage par chapitre du roman. J’ai préféré un texte plus fluide pour raconter sur scène l’histoire de d’un homme qui revient dans la maison de son enfance et se souvient de son enfance. Je reste néanmoins respectueux de l’histoire de Cavanna et je garde ses mots. Quand il parle d’un copain d’enfance, je parle d’un de mes copains. Même chose pour la boulangère, le patron de chantier, le tenancier de bordel. Son père, c’est mon père. Quand on adapte un récit au théâtre, il y a toujours un mélange de l’auteur et de soi.

Quelle image vous vient en tête quand vous entendez le mot Rital ?

Je pense avant tout à mon père. Je pense aussi au facteur qui appelait ma mère, l’étrangère. Ce peut être dit parfois avec amitié. Mais pas toujours. Tout dépend de l’époque aussi. Après la finale de coupe du monde de football et la coup de boule de Zidane, le mot Rital est redevenu péjoratif. On le sait, l’histoire a tendance à bégayer.

Est-ce que votre père a souffert de cela ?

Oui, mon père a souffert de racisme. Il n’en parlait jamais. Il ne parlait pas italien. Il cachait cela. J’ai su aussi qu’il y avait eu quelques soucis à l’usine mais il l’a caché.

Est-ce que vous perceviez cette souffrance ?

Quand on appartient à une famille modeste, on ressent davantage les choses. Surtout quand on est à cours d’argent et qu’il faut emprunter à la grand-mère. On savait alors qu’il ne fallait pas demander trop. Parfois, mon père rentrait de son travail avec un visage peu joyeux. Il ne pouvait pas non plus m’aider pour mes devoirs. C’est ce que j’aime chez Cavanna, il rit de tout cela.

Chez vous aussi, on riait beaucoup ?

Oui, on riait beaucoup. Mon père riait de son accent. On riait aussi quand il inventait des expressions.

Est-ce qu’il vous a appris l’italien ?

Jamais. Lui faisait l’effort de parler français. Il faisait tout pour s’intégrer, pour devenir transparent, se fondre dans la masse. Son prénom était Giovanni et se faisait appeler Jean.

Dans ce spectacle, êtes-vous un conteur ?

Non, je suis Cavanna qui parle de sa vie au public. J’espère que ce sera très organique.

Pourquoi votre frère, Mario, était-il la meilleure personne pour vous mettre en scène ?

Oui, c’était la meilleure personne. On se comprend vite et très bien sans avoir besoin de trop se parler. Nous avons bien évidemment des références communes. Dans la pièce, il y a plusieurs personnages que je fais exister qui des habitants de notre village et que nous avons connues tous les deux.

L’accordéon, était-ce une évidence pour vous ?

Oui parce qu’il est aussi présent dans le roman. Cavanna écrit quelques pages croustillantes sur l’accordéon. À cette époque, c’est l’instrument roi des guinguettes.

Vous jouez à Pont-Audemer où vous avez grandi. Est-ce que ce sera une date particulière ?

Pont-Audemer, c’est chez moi. Oui, ce sera une date particulière. La dernière fois que mon papa est venu me voir au théâtre, c’était à L’Éclat.

 

Les dates 

  • Jeudi 4 octobre à 20 heures à la scène nationale de Dieppe. Tarifs : de 23 à 10 €. Réservation au 02 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr
  • Vendredi 5 octobre à 20h30 à La Forge à Harfleur. Tarifs : 15,50 €. Réservation au 02 35 13 30 09.
  • Samedi 6 octobre à 20h30 à L’Éclat à Pont-Audemer. Tarifs : 18 €, 14 €. Réservation au 02 32 41 81 31 et sur http://eclat.ville-pont-audemer.fr