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Jean de Pange au Rayon vert : « Shakespeare a gonflé Hamlet de ses propres doutes »

Hamlet, toute une légende… Elle traverse le temps et l’espace. C’est cette dimension singulière qui a intéressé le metteur en scène Jean de Pange. La compagnie Astrov joue vendredi 9 février La Tragique et Mystique Histoire d’Hamlet au Rayon vert à Saint-Valery-en-Caux. Elle est restée fidèle à la trame écrite par Shakespeare : le roi du Danemark est assassiné par son frère, Claudius. Le meurtrier s’installe dans son trône et aussi dans son lit auprès de sa femme. Un soir, Hamlet voit apparaître le fantôme de son père qui lui demande de le venger. Il sera envahi par le doute. Entretien avec Jean de Pange.

Vous avez choisi comme titre de la pièce La Tragique et Mystique Histoire d’Hamlet. Pourquoi mystique ?

On l’oublie souvent mais Hamlet est une pièce inscrite dans un paradigme chrétien. Quand on la met en scène, on ne peut faire l’économie de cela. C’est une erreur de présenter Hamlet comme un personnage athée. Il ne remet jamais en cause l’existence de Dieu, les dogmes. Il parle du paradis. Il a peur de se retrouver en enfer. Il est indispensable de prendre cela dans la réflexion pour comprendre les enjeux de ce texte. J’ai eu envie de le rappeler dans le titre. D’autre part, cela renvoie à l’intemporalité, l’universalité de cette pièce qui traverse le temps. Nous avons tenté de donner à voir et à entendre la dimension mythique de la fable. Shakespeare écrit une pièce à la fin du XVIe siècle à partir d’une fable. Il reprend une vieille légende qui a beaucoup voyagé : une histoire de vengeance qui se fait jour. Shakespeare reprend l’idée, le côté légende. Cette dimension m’a aussi beaucoup intéressé.

Comment avez-vous voulu vous inscrire dans cette traversée du temps ?

Cela a été notre travail : comment nous, comédiens, pouvons-nous nous inscrire dans ce temps ? Shakespeare, lui-même, fait une pirouette à la fin de la pièce. Il fait dire à Hamlet, alors en conversation avec Horatio : tu dois survivre et non te suicider. C’est pour continuer à raconter cette histoire. Shakespeare est aussi un relais. Il écrit cette légende pour que des acteurs puissent la narrer. Nous nous sommes placés du côté de légende. Pour cela, nous avons cherché une immense simplicité.

Une simplicité pour en extraire l’essentiel ou une vérité ?

Nous cherchons tous une vérité en mettant en scène des textes. Cette simplicité permet d’être en relation perpétuelle avec le public. Le quatrième mur est complètement explosé. Quant à la vérité, on essaie de l’atteindre par le sens des mots.

Votre distribution reflète aussi cette traversée.

Il était important pour moi de réunir une troupe d’acteurs qui témoigne par leurs origines et leurs identités de cette dimension européenne, internationale du texte. Tous les comédiens sont francophones et ont tous un lien avec le bassin Méditerranéen. Cette pièce est une sorte de carrefour.

Hamlet est joué par une jeune comédienne, Camille Rutherford. Pourquoi ?

Quand j’ai commencé à travailler sur cette pièce, j’ai réuni un groupe de comédiens. J’ai fait la distribution pendant les répétitions. C’est Camille qui me paraissait être la personnalité la plus adéquate pour le rôle d’Hamlet. Elle est très jeune. Elle a un côté adolescent, brut, un peu révolté, une certaine androgénéité. Cela allait aussi avec ma logique du départ : rassembler sur un plateau trois acteurs et trois actrices. Je voulais une parité. A cette époque, les auteurs écrivaient peu pour les femmes parce qu’elles n’avaient pas le droit de jouer. Aujourd’hui, quand on s’intéresse aux textes classiques, cela pose des questions. Les femmes doivent jouer et défendre les beaux rôles. En prenant une telle décision, je savais que cela allait bouleverser la pièce. C’est aussi une démarche politique de ma part.

Faites-vous de Hamlet un personnage révolté ?

Non mais c’est Camille qui l’impose par son jeu. Hamlet est un homme rempli de doutes. Il ne sait quelle conduite à tenir. C’est même un doute métaphysique. Il s’interroge sur le sens de l’existence. Shakespeare a gonflé Hamlet de ses propres doutes. Il s’est emparé de cette légende pour injecter de manière frontale ces questionnements sur lui-même, sur le théâtre, la pratique du théâtre, sa nécessité et sa futilité. C’est une mise en abîme. Dès les premiers mots, Shakespeare parle de théâtre. Il fait référence aux acteurs, au jeu.

Est-ce que Hamlet est une quête ?

C’est une quête de conscience, peut-être d’une tentative d’une lucidité.

Hamlet parle aussi de théâtre. Comment cette pièce a résonné en vous en tant que metteur en scène ?

Au début du travail, je ne savais pas vraiment par bout la prendre. Quand nous sommes allés en répétition, je me suis aperçu de la force de ses phrases. Hamlet est une tragédie, une comédie, une bouffonnerie… En tant que metteur en scène, je devais être convaincu par la manière de faire que nous avions choisie, par le geste théâtral

  • Vendredi 9 février à 20h30 au Rayon vert à Saint-Valery-en-Caux. Tarifs : de 18 à 6 €. Réservation au 02 35 97 25 41 ou sur www.lrv-saintvaleryencaux.com