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Patrick Rotman à Terres de Paroles : « Faire reculer le pouvoir avait quelque chose de jouissif »

photo Jérôme Panconi
photo Jérôme Panconi

Étudiant à Paris, Patrick Rotman a été le témoin et un acteur du mouvement de contestation qui a bouleversé la société française en mai 1968. Dans Mai 68 : la veille du grand soir, dessiné par Sébastien Vassant, il relate les manifestations, les violences, les « coulisses » des événements, les sentiments des étudiants et des hommes politiques. On va de la rue à l’Elysée, de la Sorbonne à l’usine Renault. On croise De Gaule qui s’oppose à Pompidou, Sartre, Cohn-Bendit… Patrick Rotman, auteur, scénariste et réalisateur de documentaires historiques et politiques, partage ses souvenirs, les mêle aux entretiens réalisés avec les acteurs de cette époque. Tout en s’autorisant le romanesque. Mai 68 : la veille du grand soir commence le 3 mai et un étudiant raconte. Patrick Rotman et Sébastien Vassant dédicacent leur ouvrage mercredi 11 avril à la librairie Funambules à Rouen avant une lecture par Laurent Sauvage à la Maison de l’architecture de Normandie dans le cadre de Terres de Paroles. Entretien avec l’auteur.

A l’aube du Grand Soir, y avait-il beaucoup d’espérance ?

Le grand soir est une expression mythique qui désigne la révolution. Il y a une connotation ironique. Dans les années 1960, on ressentait une espèce d’optimisme. On croyait en un monde meilleur, un avenir radieux. Ce qui caractérise cette décennie, c’est que l’on était persuadé que demain sera mieux qu’aujourd’hui

Pourquoi ?

Dans ces années, j’étais un étudiant à la Sorbonne à Paris. Beaucoup étaient mobilisés contre la guerre au Viet-Nam. Nous avions en tête les bombardements d’un petit peuple de paysans par une grande puissance du monde. A la réaction morale contre cette guerre s’ajoutait une réaction politique contre l’impérialisme américain. Il y avait beaucoup de manifestations. Ce qui nous a fait descendre dans la rue, c’est la violence policière, la brutalité. Dès les premiers jours, des étudiants sont arrêtés et vont en prison. On voulait que nos camarades soient libérés.

La violence est présente tout au long de la bande dessinée.

Elle est très présente parce qu’elle est un des éléments de 1968. Nous avons connu des scènes très dures. Lors de la nuit des barricades, le 10 mai, 5 000 grenades ont été tirées. La violence n’était pas seulement dans la rue. Elle était aussi exercée sur les personnes assises aux terrasses.

Dans les propos que vous rapportez, les hommes politiques n’avaient qu’un seul objectif : mettre de l’ordre.

J’ai pu recueillir les confidences de certains hommes politique de cette période. Celles-ci ont servi à écrire les dialogues de la bande dessinée. Tout est exact. Les hommes politiques n’avaient aucune idée de ce qui se passait dans la rue. Je pense qu’il aurait pu y avoir bien plus de violence et de morts. Le préfet Grimaud a reconnu que la police était complètement débordée.

Vous démontrez que le pouvoir ne comprenait pas le mouvement. Vous faites déjeuner De Gaulle et Fernandel qui parlent d’enfantillages.

Personne ne savait que le mouvement allait prendre une telle ampleur. Pour le pouvoir, cela a été comme un coup de tonnerre. Il y avait déjà eu des manifestations d’étudiants mais pas comme celles-ci. Le gouvernement est en plein désarroi. Dès la première semaine, c’est la panique. Les forces de police subissent mais n’anticipent pas.

Vous faites dire à votre personnage : « je ne suis jamais senti aussi heureux ». Est-ce que vous aviez ressenti ?

Dans les personnages de fiction, j’ai mélangé plusieurs sentiments. Notamment celui de liberté et d’exaltation ressenti par les jeunes. Dans les rues régnait une atmosphère juvénile et joyeuse. Et faire reculer le pouvoir avait quelque chose de jouissif.

Aviez-vous l’impression de « faire l’histoire » ?

Oui, c’était un sentiment partagé. Nous savions que nous étions en train de vivre des événements qui resteraient dans l’histoire. La preuve : nous en parlons encore. La France s’est retrouvée plongée dans un mouvement, dans une espèce de frissons existentiels, dans une remise en cause générale. Chaque personne s’interroge sur sa vie, sur le sens de l’existence. Tout le monde parlait avec tout le monde et chacun sortait de son isolement.

Pour l’amie de votre personnage,  la révolution était plus importante que les études. Pour vous aussi ?

Les deux personnages sont différents. Lui est un peu naïf alors qu’elle est plus radicale dans ses propos. Le mot révolution est employé par tous parce que tous pensaient que le monde allait changer. C’était donc la seule chose qui importait. Tout le reste en découlerait.

Que reste-t-il de cet esprit de 1968 aujourd’hui ?

1968 est une sorte d’épicentre d’un mouvement qui a commencé au début des années 1960 et s’est terminé à la fin des années 1970. C’est un mouvement de transformation, de libération des mœurs et de la femme. On vivait dans un archaïsme et des carcans. Il a eu son effet. Aujourd’hui, c’est terminé. Nous avons changé de monde, de référence, d’idéologies. Il faut le raconter comme un événement important.

Pourquoi, selon vous, des hommes politiques veulent utiliser le mouvement de 1968 comme le berceau des maux d’aujourd’hui ?

Sarkozy a eu en effet l’idée d’expliquer les problèmes de la société actuelle par les événements de 1968. C’est absurde. La société a trop changé. C’est juste de l’utilisation idéologique.

Les rencontres

  • Mercredi 11 avril à 16 heures : signature de Mai 68 : la veille du grand soir par Patrick Rotman et Sébastien Vassant à la librairie Funambules, 55, rue Jeanne-d’Arc à Rouen. Entrée libre
  • Mercredi 11 avril à 19 heures : lecture de Mai 68 : la veille du grand soir par Laurent Sauvage à la Maison de l’architecture de Normandie, 48, rue Victor-Hugo à Rouen. Gratuit. Réservation au 02 32 10 87 07.