Pierre Lemarchand raconte l’épopée de « Fantaisie militaire »

Alain Bashung Fantaisie militaire : un titre sobre qui annonce l’histoire de la « fabrication » d’un des plus beaux albums de musique. Pierre Lemarchand s’est lancé dans cette écriture après avoir recueilli les témoignages de ceux qui ont participé à cette aventure humaine et musicale. Le livre paraît samedi 6 janvier.

6 janvier 1998 : sortie de l’inoubliable Fantaisie militaire d’Alain Bashung. 6 janvier 2018 : publication d’Alain Bashung Fantaisie militaire par Pierre Lemarchand. Vingt ans séparent ces deux dates. Une belle occasion pour retracer la genèse d’un album dans lequel planent des ombres troublantes. Fantaisie militaire est un disque à la fois sombre, parce qu’il est question d’amours tourmentées, de désillusions, et lumineux avec ses arrangements luxueux.

Pierre Lemarchand découvre Bashung avec La Nuit, je mens le jour de sa sortie. « J’étais passé complètement à côté de ses précédents albums. Quand j’entends le titre à la radio, je vais acheter le disque le soir. C’est un album extraordinaire. La musique d’Alain Bashung et les mots de Jean Fauque me démontrent qu’il est possible de faire du rock en français ». Pour l’auteur rouennais, Fantaisie militaire est plus qu’un bel album. Il reste surtout « la bande son d’un virage. Dans ma vie, s’il devait y avoir un avant et un après, ce serait là ». A ce moment-là, cet homme d’une profonde bonté et d’une extrême générosité croise l’amour et s’engage au Secours populaire — la lutte contre les exclusions est une de ses batailles.

 

 

Alors, raconter Fantaisie militaire, une évidence ? Pas du tout. « Je n’y avais pas pensé et je n’avais même pas osé y penser. C’est une proposition de l’éditeur. J’ai dit oui tout de suite. Pourtant, c’est un album encore proche de nous, donc cela reste intimidant. J’avais peur de ne pas pouvoir prendre suffisamment de recul ». Pour éviter cet écueil, il part à la recherche de témoignages des artistes qui ont entouré Alain Bashung durant tout le processus de création de Fantaisie militaire. Jean Fauque, Rodolphe Burger, Édith Fambuena, Anne Lamy… En tout une vingtaine d’entretiens. « Tous m’ont fait confiance. Ils m’ont offert du temps bien plus que convenu. C’était chaleureux ». La particularité de ce livre riche et très bien écrit : relater les différentes étapes de la composition du disque à travers le portrait de paroliers et musiciens. Tel un roman avec des personnages aux caractères forts dans des lieux emprunts d’histoire. Ce qui atteste que Fantaisie militaire « avant d’être une histoire musicale, c’est une histoire humaine, une histoire de personnes qui se rencontrent. Ce disque n’aurait jamais pu naître sans eux. Tous vont s’engager dans sur un chemin. Le plus fou, c’est la cohérence de l’œuvre qui est permise par l’ouverture de tous les possibles ».

Pour ce nouvel album, Bashung, en pleine dépression, enfermé dans la solitude, veut écrire tous les textes avant de travailler sur les mélodies. « Les paroles deviendront l’ossature du disque, son ciment, son préalable. Il ne s’agira plus de faire entrer les mots dans des canevas mélodiques, ou de les faire coller à sa diction : ce seront d’eux, et de leur musique intrinsèque, que naîtront les chansons », écrit Pierre Lemarchand. C’est un travail mené avec l’ami de toujours, Jean Fauque. « Voici ce qui guide les deux hommes qui taillent à la serpe leur chemin aventureux dans la jungle de la langue française. Ils font rupture avec la lisibilité des textes, pour offrir une vérité souterraine, une cartographie des sentiments, qui ne peuvent être dites par l’univoque ».

 

 

Dans le processus de création arriveront Jean-Marc Lederman, Richard Mortier, les Valentins… Tous vont se retrouver pour fabriquer un écrin à tous les textes. Alain Bashung leur donne carte blanche, va jusqu’à demander à Jean-Louis Piérot, un des deux Valentins : « trahis moi ». « Bashung leur a appris à désapprendre. Il leur disait : expérimentez, faites-vous plaisir, surprenez-vous. C’est pour cette raison que tous lui sont un peu redevables. Bashung leur en fait appris la liberté, à se découvrir, à ne pas aller sur des sentiers battus ». Dans le studio Antenna, au château de Miraval, il est là tel un fantôme. Il regarde, écoute. « Il est comme un chef d’orchestre. Il a beaucoup de bienveillance, de gentillesse, de délicatesse avec tous. Et eux sont désireux de donner le meilleur. Quand quelque chose lui plaisait, lui qui était si retenu pouvait les prendre dans ses bras ».

Dans son livre, Pierre Lemarchand revient également sur la pochette de l’album, sur l’image de Laurent Seroussi, « cette photographie de silence, d’inquiétante et troublante paix, d’eau végétale. Le vert, couleur militaire, évoque également celle des bayous de Louisiane, où naquit le blues, ancêtre du rock’n’roll, et matrice des rêves et des musiques ruminés par Bashung depuis toujours ». Dans une troisième partie, il analyse tous les titres de Fantaisie militaire qu’il écoute régulièrement et « de la même manière. Les grands disques émeuvent, ne vieillissent pas et ne font pas vieillir. Je ne veux pas trahir celui qui rêvait ».

 

  • Alain Bashung Fantaisie militaire, Editions Densité, collection Discogonie.
  • Conférence de Pierre Lemarchand avec Jean Fauque, Joseph Racaille et Richard Mortier jeudi 25 janvier à 20 heures au 106 à Rouen