Portrait d’une banlieue

C’est le troisième film de Pascal Rabaté. Du Goudron et des plumes est une comédie douce-amère remplie de belles trouvailles. Le réalisateur, également illustrateur, était à l’Omnia à Rouen pour parler de cette nouvelle aventure cinématographique.

 

 

photo Roger Arpajou / Loin derrière l'Oural
photo Roger Arpajou / Loin derrière l’Oural

Pascal Rabaté a écrit une histoire toute simple. Ce qui peut paraître comme un défaut pour certains se révèle en fait un moment délicieux. Du Goudron et des plumes, sorti en salle le 9 juillet, est une jolie comédie dans laquelle on se laisse bercer et vite séduire par des personnages attachants. Le réalisateur a formé un couple qui fonctionne parfaitement. « Sami Bouajila véhicule une fragilité. Il a ce jeu à fleur de peau. Il est dans la retenue, canalise beaucoup son énergie. Il m’a donné envie de casser la grammaire et d’aller chercher la vibration du visage. Isabelle Carré, c’est pareil. C’est quelqu’un de charmant qui dégage à la fois une fragilité et une solidité. Elle a un registre de jeu très large. Ce ne sont pas des acteurs monolithes ».

 

Première originalité de Pascal Rabaté dans Du Goudron et des plumes : il place son récit dans une réalité. Son film est le portrait d’une banlieue pavillonnaire, une zone tant oubliée, notamment au cinéma. « Je voulais travailler sur les bordures des villes, évoquer ce rapport que j’avais quand j’étais gamin. Mon père était grainetier. Quand on allait chez les fournisseurs, il y avait, pour moi, quelque chose de disproportionné dans ces endroits. En grandissant, je me suis aperçu que ces zones étaient de moins en moins belles, ignorées plastiquement ».

 

Dans ce quartier, les habitants sont marqués par une solitude pesante. Le premier, Christian (Sami Bouajila), commercial, divorcé, qui voit sa fille un week-end sur deux et qui tente de trouver de temps en temps un pseudo réconfort dans l’alcool et les filles rencontrées dans une discothèque. Son père (Daniel Prévost) est veuf, a son jardin et ses anciens copains. Son frère (Zinedine Soualem) est un dépressif chronique. Il y a aussi Christine (Isabelle Carré), esthéticienne à domicile, enceinte, qui élève seule sa fille.

 

« Ce sujet vient de loin. En 2004, j’ai fait un voyage de plus de deux mois à travers la Russie. Je suis revenu attaqué parce que je ne parlais pas le russe. C’était en fait un voyage sur la non-communication. De plus, il n’y avait pas de lumière. Tout était triste. La Russie était une société en pleine dépression. En 2006-2007, j’ai constaté les mêmes symptômes dans la société française, le désarroi d’une population ».

 

 

 

Pascal Rabaté porte là un regard tendre et surtout bienveillant sur des personnages qui se débrouillent pour rester debout. « Je ne juge pas. C’est la société qui juge. Christian n’est pas fier de ses arnaques. Quand il sort de la première maison, il n’assume pas et il n’a pas envie qu’on lui fasse la morale. Il avance avec des codes qu’il a lui-même fabriqués ».

 

Alors complice ou victime d’un système ? « C’est une victime qui se fait complice. Il n’a plus de rêve ». Comme son frère mais différemment de son père qui croît toujours fermement en des idéaux. « Il a travaillé pour le collectif mais a engendré deux fils individualistes ». Pascal Rabaté parle également dans Du Goudron et des plumes de la transmission, d’une évolution des valeurs et de l’intégration d’une famille ouvrière maghrébine.

 

Des sujets sérieux mais traités avec légèreté et surtout sans caricature. Il y a du Tati chez Pascal Rabaté. Le réalisateur revendique complètement cette influence. Il a un réel souci du détail qui apporte au film un côté décalé, drôle et un univers de bande dessinée.

 

  • Du Goudron et des plumes de Pascal Rabaté avec Isabelle Carré, Sami Bouajila, Daniel Prévost, Zinedine Soualem, Talina Boyaci, Laura Genovino.