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Radouan Leflahi : « Je touche du bout du doigt ce qui semblait impossible »

photo Arnaud Bertereau
photo Arnaud Bertereau

C’est un comédien caméléon. Radouan Leflahi sait tout jouer. Et il joue merveilleusement bien. Jusqu’à parfois couper le souffle. Au théâtre, il a grandi au conservatoire de Rouen aux côtés de Maurice Attias et s’épanouit avec sa troupe, Hominem Te Esse, avec la compagnie des Ogres d’Eugen Jebeleanu et surtout avec David Bobée dans Gilles, Roméo et Juliette, Fées, Lucrèce Borgia, Mesdames, Messieurs et le reste du monde. Cette fois, le metteur en scène et directeur du CDN de Normandie lui confie le rôle de Peer Gynt, un des plus difficiles et des plus longs du théâtre classique écrit par Henrick Ibsen. Plus de trois heures et demie sur scène avec ce personnage rêveur, hâbleur, menteur, égoïste qui aime et trahit durant toute sa vie. Radouan Leflahi porte ce Peer Gynt avec une force inouïe. Il sait être lumineux et à d’autres instants sombre. Mais toujours convaincant. Une vraie performance pour ce jeune artiste généreux. Entretien avec Radouan Leflahi.

Est-ce que jouer à Rouen sera un moment particulier ?

Rouen est la ville où est installé David (Bobée, ndlr), où je vis, où est ma famille. C’est comme jouer à la maison. Donc, c’est particulier. Sans prétention, je ne stresse jamais. C’est tellement agréable d’être sur scène. Jouer dans sa ville permet néanmoins d’être plus serein parce que l’on connaît son rythme. On a des repères.

C’est une nouvelle saison avec Peer Gynt. Que découvrez-vous encore ?

C’est pour cette raison que l’on fait ce métier. Les répétitions permettent de mettre en forme le spectacle et les représentations servent à continuer ce travail. Ce texte est d’une telle richesse que l’on découvre régulièrement de nouvelles choses. Quant au rôle de Peer Gynt, il est un des plus complets au théâtre. Quand je commence à jouer, j’ai l’impression que la fin de l’histoire ne sera jamais la même. Ibsen avance une idée différente à chaque phrase. Il fait sans cesse des virages à 180°.

Comment avez-vous abordé le rôle de Peer Gynt ?

Ce que David veut voir sur scène, c’est nous. Peer Gynt n’existe pas si je ne suis pas là, si les autres comédiens ne sont pas là. Nous n’avons pas d’autres choix que d’être à 100 % de ce que nous sommes pour ce personnage-là. Je suis à fond dans chaque scène. Surtout avec Peer Gynt. Il n’y a pas de juste milieu avec lui. Quand il dit qu’il aime, il aime à 400 %. Avec ce spectacle-là, je traverse la vie de Peer Gynt et je traverse ma vie. Je ne suis pas le personnage mais je me suis reconnu à 70 % dans ce qu’il est. Il est impossible de ne pas se retrouver en lui. C’est pour cela qu’Ibsen est un vrai génie. Il invente un personnage qui n’est pas un héros, ni un anti-héros. Il n’est pas bon mais pas mauvais non plus. C’est juste un être humain.

Comment travaillez-vous encore ce Peer Gynt aujourd’hui ?

Tout simplement en regardant le texte, en le lisant. C’est la meilleure manière de découvrir de nouvelles choses. Parfois, le texte travaille à mon insu. Il m’arrive de ressentir le besoin de le dire dans mon salon, en faisant la vaisselle. Je ne sais pas pourquoi mais c’est là.

Comment parvenez-vous à porter un tel rôle ?

C’est un rôle très lourd. Je me prépare comme un sportif. Quand David m’a proposé ce rôle, je me suis dis que je ne pourrais jamais le jouer, que je n’y arriverais pas. C’est trop gros. Je ne suis pas prêt. Quand on n’a pas le choix, on se surprend soi-même. Cela a été dur, très éprouvant. Les autres comédiens me portent, me donnent ce qu’il faut. Mais il y a cette solitude d’être là sur scène et je la ressens. Je dois gérer seul la solitude de ce personnage. Je sais qu’avec Peer Gynt je vais passer un cap. Il m’a bousculé, me fait évoluer humainement et en tant qu’acteur.

Avec Catherine Dewitt qui joue votre mère, vous formez un duo à la fois émouvant et drôle.

Catherine est une belle personne et une belle comédienne. Quand je la regarde et que je l’écoute, je me laisse emporter. Je l’affectionne beaucoup et j’ai entièrement confiance en elle. Avec elle, on est dans un ascenseur émotionnel. Déjà, dans Lucrèce Borgia, nous partagions des moments très drôle. Il y a un endroit de confiance

Vous retrouvez une nouvelle fois David Bobée aussi.

C’est facile de le suivre maintenant. Je le comprends très rapidement. Quand il dit une chose, je sais où il veut m’emmener. Il est rare de travailler si longtemps avec un metteur en scène. Un lien s’est noué désormais. Humainement, nous avons bousculé les frontières du metteur en scène et de l’acteur. J’ai pleinement confiance en lui parce que je sais qu’il fera attention à moi.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez joué Peer Gynt à Oslo dans le théâtre d’Ibsen ?

C’était incroyable. C’est comme si on jouait Shakespeare au Globe Theatre. Le public connaît la pièce par cœur et a réagi tout au long du spectacle. À la fin, il s’est levé alors que le noir était encore complet. Nous avons été adoubés. Il nous a dit : c’est bon, vous pouvez continuer. À l’extérieur, nous avons vu les paysages de Peer Gynt, les lacs, les plaines, les maisons… Des passages du texte surgissaient.

Vous êtes un garçon plutôt réservé. Que ressentez-vous lorsque vous vous voyez sur les affiches ?

C’est compliqué. Ce rôle m’est tombé dessus. Comme la médiatisation. Cela fait toujours plaisir. Profitons-en. Mais ma mère ne m’a pas élevé comme ça. Je voulais être acteur. Je le suis à 100 %. Je touche du bout du doigt ce qui semblait impossible. Cela me comble et me rend heureux. Je dois continuer le travail. J’ai encore beaucoup à faire.

Infos pratiques

  • Jeudi 15 et vendredi 16 novembre à 19 heures, samedi 17 novembre à 18 heures au Théâtre des Arts à Rouen. 
  • Tarifs : 20 €, 15 €. Pour les étudiants : carte Culture. 
  • Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr

En tournée en Normandie

  • Du 20 au 22 novembre à 19 heures à la Comédie de Caen à Hérouville. Tarifs : de 26 à 15 €. Réservation sur www.comediedecaen.com
  • Jeudi 13 décembre à 20 heures au Cadran à Évreux. Tarifs : de 20 à 8 €. Pour les étudiants :  carte Culture. Réservation au 02 32 29 63 32 ou sur www.letangram.com
  • Mercredi 9 et jeudi 10 janvier à 19h30 au Volcan au Havre. Tarifs : de 33 à 5 €. Pour les étudiants : carte Culture. Réservation au 02 35 19 10 20 ou sur www.levolcan.com