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Robert Lepage au Volcan : « Nous n’apprenons pas de l’histoire »

photo Erick Labbé
photo Erick Labbé
photo Erick Labbé

887, c’est à ce numéro que se trouvait la maison de la famille de Robert Lepage. Il y a grandi. Le metteur en scène et comédien québécois revient sur son enfance, très précisément, entre 2 et 12 ans, et sur cette décennie des années 1960. Le jeune Robert se construit et le Québec cherche sa liberté. Dans 887, qu’il a écrit et joue du 6 au 8 décembre au Volcan au Havre, Robert Lepage raconte différentes histoires, questionne la mémoire avec une grande poésie. Entretien.

 

Vous revenez sur une période pendant laquelle vous aviez entre 2 et 12 ans. Est-ce les souvenirs sont intacts ?

Dans ce spectacle, j’ai voulu interroger la mémoire. Il y a des souvenirs intacts et des souvenirs qui le sont à peu près. Souvent on se souvient de moments qu’on nous a racontés et qu’on a l’impression d’avoir vécus. Cette période est très déterminante pour moi. C’est l’enfance et la pré-adolescence. C’est aussi un moment déterminant pour le mouvement identitaire du Québec.

 

Vous mélangez plusieurs histoires, la vôtre et celle du Québec. Comment établissez-vous un lien ?

Dans mes spectacles, il y a toujours eu un peu de politique mais je ne prends jamais de position. Là, je me permets de parler des enjeux. Enfant, je n’avais pas le droit de vote. J’écoutais mes parents. En fait, c’est le regard naïf d’un enfant. C’est plus ludique et plus poétique. C’est toujours difficile de parler de son passé. La famille reste le microcosme de ce qui se passe dans la société. Je regarde ce qui se passe chez moi, dans mon quartier, dans ma ville, dans mon pays, dans le monde…

 

C’est donc vous, le lien ?

Dans mes spectacles, je me suis toujours un peu caché dans mes personnages. 887 est la création la plus autobiographique. Je parle à la première personne. Je commence par dire : bonjour, je m’appelle Robert Lepage… 887 reste cependant de l’autofiction. Tout n’est pas totalement vrai. J’arrondis les coins pour que cela devienne du théâtre.

 

Quelle a été votre démarche ?

Au départ, mon écriture était davantage orientée vers la thématique de la mémoire. Je ne pensais que cela allait devenir un spectacle plus autobiographique. J’avais une démarche intellectuelle et j’ai été pris au piège. Je me suis rendu compte que le spectacle parlait plus de moi, de ma famille, de mon identité.

 

 

En vous replongeant dans cette histoire, qu’avez-vous davantage appris d’aujourd’hui ?

Je pense que nous avons la mémoire courte. Nous n’apprenons pas de l’histoire. Nous ne changeons pas même si nous avons l’impression d’avoir changé. On le voit avec l’élection de Trump. Les gens veulent revenir à une époque où c’était mieux. Mais qu’est-ce qui était mieux ? Nous ne retenons pas du tout de leçon de l’histoire.

 

 

Quel est votre souvenir le plus vif de ces années 1960 ?

Je me souviens de la visite du général De Gaulle. Ce fut un moment important et fort. J’avais 9 ou 10 ans. J’étais allé avec ma famille voir le défilé. Il était là pour renouer des liens d’amitié entre la France et le Québec. Et cette phrase, Vive le Québec libre ne s’oublie pas. Je me souviens vraiment très bien de cette journée.

 

A quel moment est née chez vous une conscience politique ?

Elle est venue plus tard. A la fin du spectacle, je donne un indice. Pendant cette décennie, nous avons vécu une crise avec des bombes, des enlèvements… Ce fut une période dure. Je deviens pré-adolescent et je commence à avoir une opinion. J’interroge mes parents. Je leur demande vers quel parti faut-il aller ? Je suis les événements à la télévision. Dans notre quotidien, des choses changent. Nos vies sont bousculées. Il y a un couvre-feu. Après 18h30, on ne peut plus jouer dehors. On voit des militaires armés dans le quartier. Cela change une opinion. A ce moment-là, j’ai une prise de conscience des choses.

 

Est-ce que ce spectacle vous permet de vous réconcilier avec cette époque ?

C’est une démarche personnelle. Il y a en effet l’idée de se réconcilier avec sa propre histoire. Mon père est aussi devenu le personnage central de cette pièce. Pourtant, mon père parlait peu. J’étais plus proche de ma mère. En écrivant, je me suis aperçu qu’il avait été important pour moi. Je tiens à signaler que je n’ai pas fait du théâtre thérapeutique avec 887. Mais je me suis réconcilié avec mon père. Je me rends compte que je lui ressemble beaucoup et que je comprends mieux la société à travers son expérience.

 

 

  • Mardi 6 décembre à 20h30, mercredi 7 et jeudi 8 décembre à 19h30 au Volcan au Havre. Tarifs : de 33 à 9 €. Pour les étudiants : carte Culture. Réservation au 02 35 19 10 20 ou sur www.levolcan.com