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Rodolphe Burger à Rush : « Un projet musical n’est jamais un saut dans le vide »

photo Julien Mignot

 

photo Julien Mignot

Rush, c’est trois jours de musique, une programmation imaginée par l’équipe du 106 et Rodolphe Burger. Le guitariste, aux multiples collaborations, a réuni sur l’affiche des artistes issus d’univers complètement différents. Durant le festival qui se tient du 1er au 3 juin à la presqu’île Rollet à Rouen, Rodolphe propose une exploration de son dernier album, Good, avec Sarah Murcia, contrebassiste, Christophe Calpini, batteur, et Helmut Tellier de La Maison Tellier, et la projection de In The Land of the head Hunters, un film d’Edward S. Curtis dont il signe la bande originale. Entretien.

Vous avez été aussi enseignant en philosophie. Quel lien pouvez-vous faire entre la musique et la philosophie ?

J’ai eu une première passion durant ma période préado, c’était le rock. J’ai fait du rock intensément entre 11 et 17 ans. Après, je pensais en avoir fini et je suis allé vers la philosophie, ma deuxième passion. Je suis revenu plus tard à la musique. J’ai quelquefois regretté d’avoir un jour mentionné cet intérêt pour la philo parce que Kat Onoma a souvent été considéré comme un groupe intello. Or, ce n’était pas le cas. Oui, j’y vois des liens. Faire de la musique et enseigner la philo, c’est tout aussi acrobatique. Néanmoins, la pratique de la musique donne à penser. Comme la philo. Dans les deux domaines, je me suis intéressé à la technique. En musique, on a affaire tout le temps à la technique avec les instruments, le matériel. On est dans une situation constante de bricolage au sens de Lévi-Strauss. C’est cette dimension expérimentale de cette aventure qui est intéressante.

Est-ce que cela demande un même appétit ?

On carbure au désir. Je n’avais pas vraiment une vocation d’enseignant ni une ambition universitaire. C’était vraiment la philosophie comme telle qui m’intéressait. J’ai découvert ce continent assez tard et j’avais un appétit incroyable. La musique est revenue ensuite, comme un désir. En fait, tout est une succession de désirs.

Chacun de vos projets est-il alors une nouvelle expérimentation ou un aboutissement ?

J’essaie de faire en sorte qu’il y ait cette dimension. Un projet musical n’est jamais un saut dans le vide. Pour le mener à bien, on configure un groupe. On va au devant d’un musicien et on se confronte à d’autres musiques. Dans cette démarche, on cherche toujours des repères. Je fais attention avant d’y aller. Mais j’adore ça. J’essaie de sentir le bon moment, la bonne personne, le bon lieu… Il y a aussi une grande part d’intuition. Tout cela oriente un projet musical, les discussions, l’expérimentation qui ouvre une nouvelle page, nourri un nouveau son. Pour Good, j’avais envie d’une rencontre avec Christophe Calpini. Je pressentais que l’on avait des choses à faire ensemble. Et j’aime quand les pressentiments se confirment.

 

Est-ce que cela peut être aussi une réaction ?

Comme pour tous les morceaux, cela intervient dans le processus de création qui ouvre de nouveaux chemins, de nouveaux espaces sonores. Comme Il se produit tellement d’événements, l’actualité entre dans la réflexion. Le titre Rien Ni Personne est arrivé à la fin de l’album. Il est lié au climat général de violence de l’époque. Comme Ensemble qui est lié à la victoire à l’élection présidentielle de Sarkozy.

Rush a pour thème la transe, est-ce que la musique n’est pas seulement une émotion ?

Oui, la musique a un contact avec ce phénomène de la transe, dans le sens très large du mot. Nous ne sommes pas dans les musiques qui provoquent des phénomènes spectaculaires. Le côté captif de la musique peut nous faire bouger mentalement et physiquement. Elle a ce pouvoir d’agir sur les perceptions temporelles.

Que deviennent les mots ? Dans votre dernier album, Good, vous les mettez en avant avec cet hommage aux écrivains.

J’ai toujours eu un intérêt vif pour les mots. Pour Good, j’ai préféré aller au plus près des voix d’écrivains. Cela me fascine. La façon de dire, de chanter m’inspire. Cela produit de la musique. J’aime fabriquer des objets où la musique et les textes sont pris dans un mixage. Je ne veux pas laisser la prépondérance au texte. Je ne suis pas dans cette belle tradition de la chanson française. Très tôt, je me suis retrouvé dans des formes où on ne comprenait pas les textes. La fonction de signification était alors altérée. Il faut donc soumettre la langue à un traitement, à un mixage.

Qu’est-ce qui vous met en transe ?

La musique ! Avec le chamanisme, on peut aussi être dans l’ordre de l’élévation. J’ai eu l’occasion de jouer dans des lieux sacrés, notamment dans la cathédrale de Strasbourg avec le Cantique des cantiques. Les premières fois, je redoutais de jouer dans ces lieux. Mon expérience de la musique ne va pas dans ce sens. Mais là, c’est comme si l’endroit favorisait le pouvoir d’élévation de la musique. Sans forcément basculer dans la transcendance. C’était une expérience très émouvante. Quant au lieu où je me sens le mieux pour jouer, c’est la chapelle de Sainte-Marie-aux-Mines. Je vois l’effet qu’elle produit sur le public. Elle favorise l’écoute.

 

Rush, le programme

  • Vendredi 1er juin à partir de 18 heures : Los Pirañas, Seigneur, Kokoko !, Bombino, Mamoto, Jeanne Added, Arnaud Rebotini, Kavinsky
  • Samedi 2 juin dès 15h30 : Sudan Archives, Ellah A. Thaun, Fantazio, Ammar 808 & The Maghreb United, Sons of Kemet, Il Est Vilaine, Rodolphe Burger, Sabrina & Samantha, Tricky
  • Dimanche 3 juin à 14h30 : The Dead Brothers, Impossibe, Reverend Beatman, Moon Gogo, Moaning, Francobollo, Ty Segall & The Freedom Band, Parquet
  • Tarifs : de 10 à 4 € une journée, de 24 à 10 € les trois jours. Réservation sur http://rush.le106.com/infos-pratiques.html