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Simon Joyner au Kalif : « notre mémoire est notre texte sacré »

simonjoynerDepuis plus de 20 ans, Simon Joyner dessine des espaces musicaux singuliers avec des teintes folk épurées ou plus colorées. Ses chansons sont de véritables contes empreints de mélancolie, inspirés de la réalité. Dans Grass, Branch & Bone, son nouvel album, il est question de passé, surtout de mémoire. Adulé par ses fans, l’artiste américain, originaire du Nebraska, se fait très rare. Simon Joyner est vendredi 25 novembre au Kalif à Rouen avec John Cunningham.

 

Comment vous sentez-vous quelques jours après la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles ?

C’est un moment très sombre dans l’histoire de mon jeune pays. J’ai peur. Donald Trump a séduit les personnes qui ressentent les pires peurs. L’Histoire nous a appris qu’il a toujours été plus facile de manipuler ceux qui ont peur. Avec ses positions caricaturales, les gens ne l’ont pas pris au sérieux. Ce qui était une grave erreur. Il va ramener le pays 50 ans en arrière. Il se peut qu’il modère ses positions maintenant qu’il a été élu. Nous verrons. Le bon côté : nous avons vu que nos deux partis présentent fondamentalement des défauts et méritent de tomber en miettes afin que quelque chose d’autre les remplace. Le parti démocrate est devenu semblable au parti républicain. Quand je suis allé voter pour Hillary Clinton, je l’ai fait en me bouchant le nez. Elle est conservatrice. Si elle avait été élue, cela aurait été une présidence qui aurait tourné dans le vide. Autre bonne nouvelle : le parti démocrate va devoir maintenant se regarder dans la glace et être plus à gauche afin que les électeurs voient parfaitement les différences entre les candidats des deux partis. Quant au parti républicain, il a été pratiquement détruit par l’élection de Donald Trump. Le futur président ne représente pas les valeurs traditionnelles et conservatrices de ce parti qui l’a tout d’abord rejeté, puis embrassé. Il ne faut pas oublier que seulement la moitié du pays a voté. Je pense que le résultat de ces élections montrent aux abstentionnistes que l’indifférence peut conduire au pouvoir des personnalités venant d’une télévision quasi-fasciste. Aujourd’hui, le monde regarde le peuple des Etats-Unis qui s’affaiblit. Je suis déçu que Clinton n’ait pas gagné le vote populaire alors qu’elle a eu plus de voix que Trump. Il y a désormais une très faible lumière dans ce tunnel si sombre. Mais il y a quand même une lumière.

 

Vous restez optimiste.

Je suis pessimiste pour certaines choses et optimiste pour d’autres. Je pense à Phil Ochs qui a dit : lors des moments sombres, la véritable réponse est la beauté. C’est ce que nous devons faire. Nous ne sommes pas en prison (encore). Il est facile de rester installé chez soi de manière confortable et d’oublier. Nous devons nous souvenir que nous devons lutter pour nos valeurs. Le combat que nous allons mener nous permettra de nous regarder parce que nous vivons comme dans une bulle avec, d’un côté, les blancs, des privilégiés, et de l’autre, les minorités qui croient au combat. Maintenant, nous devons apprendre d’elles. Une partie de nous a été atteinte mais le médecin est encore là pour nous tapoter dans le dos et nous aider à reprendre un autre souffle. Je suis optimiste parce que l’élection de ce charlatan sera en fin de compte une bonne chose pour le pays. Nous allons tout d’abord connaître le pire avant de nous rendre compte de notre erreur.

 

Est-ce que de tels événements politiques influencent votre écriture ?

Oui complètement.

 

 

Vous écrivez beaucoup sur les relations entre les personnes. Pourquoi ?

Les gens sont seulement intéressants par la manière dont ils se comportent avec d’autres. La seule façon d’apercevoir le cœur et l’esprit de quelqu’un est à travers sa façon d’être aux autres. Beaucoup de nos problèmes, de nos conflits trouvent leur origine dans ces relations. Je pense que notre humanité réside dans ces relations.

 

Dans vos chansons, vous créez de nombreux personnages. Les considérez-vous comme des héros ou des anti-héros ?

Ce sont des héros. Le monde est très dur. Les gens sont complexes. Ils ne sont pas bons ou mauvais. Ce ne sont pas des héros de roman. Chaque personnage est une personne réelle.

 

Dans votre dernier album, vous parlez beaucoup du passé. Êtes-vous nostalgique ?

Non, je ne suis pas nostalgique. Je vois le passé comme un suicide socialement acceptable. C’est pourquoi les personnages de mon dernier album sont en deal avec lui. C’est important de comprendre et d’accepter le passé mais pas de le revivre. Il n’existe plus même si tu le portes avec toi n’importe où tu vas. Je me souviens d’une personne qui avait décidé de garder et de porter toutes ses poubelles pendant une année entière, de faire un bilan écologique de tout ce qu’elle avait consommé et gaspillé. C’est quelque chose que nous faisons avec notre passé. Si tu te plains, si tu es tourmenté, tu t’empêches de vivre. J’essaie de comprendre cela. J’aime les gens. J’aime leur force en eux. C’est leur lutte qui les rend vrais et dignes de compassion.

 

Pourquoi écrire aussi sur la mémoire ?

Pour les mêmes raisons. La mémoire est un outil pour vivre dans le présent. C’est seulement quand tu préfères les souvenirs à tout ce que t’offre une journée que tu as un problème. Notre mémoire est remplie de fantômes qui nous rappellent comment vivre. C’est mieux que la Bible. C’est notre texte sacré avec les choses que nous avons bien faites et mal faites.

 

Vos chansons sont des nouvelles. Avez-vous envie d’écrire des romans ?

J’apprécie cette remarque. C’était un de mes objectifs avant que je choisisse de jouer de la guitare. Depuis, je suis devenu un esclave des applaudissements… Les romans sont écrits par des personnes solitaires qui sont plus certains de leurs talents. J’envie ces personnes. Dans un sens, je suis un lâche.

 

  • Vendredi 25 novembre à 20 heures au Kalif à Rouen. Tarifs : 12 €, 10 €. Réservation sur www.lekalif.com