Tania de Montaigne : « Mettre une majuscule à noir fige une identité »

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Noire était une première pour Tania de Montaigne. Avec ce livre, paru en 2015 dans la collection Nos Héroïnes (Grasset) et récompensé par le prix Simone-Veil, la journaliste et romancière relate un fait réel. Noire est l’histoire de Claudette Colvin, une femme méconnue qui a pourtant ouvert la voie au combat pour les droits civiques aux États-Unis. Tania de Montaigne porte au théâtre ce récit, mis en scène par Stéphane Foenkinos. Entretien.

Vous connaissez la scène puisque vous donnez des concerts. Comment l’avez-vous appréhendée en tant que comédienne ?

La scène est le prolongement direct de mon travail sur la musique. Néanmoins, quand Stéphane Foenkinos m’a dit qu’il avait une vision du livre, Noire, et qu’il voulait me voir sur scène. J’ai refusé. Je ne suis pas comédienne. Lors d’une conversation, il m’a exposé son projet. En fait, il voulait qu’un auteur raconte une histoire. Donc, ce n’était pas une incarnation. Cela me semblait déjà plus raisonnable. Nous avons fait une première lecture à Orléans et je me suis rendue compte qu’elle était une continuité de l’écriture.

Noire est le premier livre que vous écrivez à partir d’un fait réel. Qu’est-ce qui vous a guidé dans ce travail ?

J’ai commencé par faire beaucoup de recherches. On a dit que Claudette Colvin ne s’était pas levée parce qu’elle était enceinte. Quant à Rosa Parks, elle avait un problème au pied. C’est de la fabrication pure. On préfère parler de ventre, de pied. Si on aborde le sujet autrement, cela voudrait dire que ces deux femmes ont une tête. Dans ce cas, elles ne sont pas des victimes. Ensuite, je me suis demandée comment je pouvais faire de la littérature avec le réel. Pour moi, l’auteur devait être dans le récit et reprendre en charge cette histoire pour mettre en lumière une femme.

Pourquoi avez-vous choisi cet adjectif, Noire, pour le titre du livre ?

Pour montrer que cette femme n’était pas qu’une couleur. Par son geste, elle disait : vous dites que je suis une couleur. Je vous dis que je suis une citoyenne américaine. Je vous demande si j’ai les mêmes droits que tout le monde et si le premier amendement de la constitution est recevable. S’il ne l’est pas, c’est que vous avez des préjugés et que vous en faites des principes. Le livre raconte ce que l’on vit aux États-Unis à cette époque.

Dans votre ouvrage, le mot noir ne comporte pas de majuscule. Pourquoi ?

Mettre une majuscule à noir fige une identité et il est possible de placer les gens n’importe où. Cela vaut pour tout. Cela veut dire : tu es par nature ce que tu es ce que j’ai déterminé. Claudette dit seulement : je suis une Américaine.

Vous avez poursuivi votre réflexion dans un autre livre, L’Assignation. Les Noirs n’existent pas.

Avec cet adjectif noir, cela suppose l’existence d’un groupe. Quand on parle de musique noire, je ne sais pas ce que c’est. Si on me parle de blues, je sais ce que c’est. Quand on parle de communauté noire, cela implique que des personnes ont quelque chose en commun. Mais il n’y avait pas de point commun entre Claudette Colvin et Jo Ann Gibson Robinson, une femme bourgeoise. Elles n’avaient aucun droit, c’est la seule chose qui les réunissait.

Une figure oubliée

Le 2 mars 1955, dans le bus de 14h30 à Montgomery, dans l’Alabama, Claudette Colvin ne se lève pas quand un homme blanc lui demande de lui céder sa place. L’adolescente de 15 ans ne plie pas. Elle est arrêtée, conduite en prison et plaidera non coupable. Claudette Colvin est la première à défier les lois ségrégationnistes. Pourtant, l’Histoire ne retiendra pas son nom. Certainement parce qu’elle est trop jeune et appartient à une classe trop pauvre. Neuf mois plus tard, Rosa Parks aura la même attitude dans des circonstances similaires. Le combat pour les droits civiques commence dans cette Amérique des années 1950. C’est cette histoire de cette adolescente, de cette violence, du racisme que Tania de Montaigne relate dans son livre, Noire.

« Ce récit m’a porté », confie Stéphane Foenkinos. « J’adore quand les histoires ne sont pas littérales, parlent du quotidien et permettent de comprendre aujourd’hui ». Dans Noire, porté au théâtre, le metteur en scène, « féministe », s’est intéressé au parcours de Claudette Colvin. « J’aime son acte ». Pour Stéphane Foenkinos, il n’y avait que Tania de Montaigne pour partager cette parole sur scène. « Vous allez découvrir une comédienne » qui évolue au milieu d’images d’archives.

Infos pratiques

  • Mardi 22, mercredi 23, jeudi 24, vendredi 25 janvier à 20 heures, samedi 26 janvier à 18 heures au théâtre des Deux-Rives à Rouen.
  • Spectacle tout public à partir de 11 ans
  • Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation du mercredi 23 janvier
  • Tarifs : 15 €, 10 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr