Thomas Jolly : « l’acteur, la machine la plus intéressante du théâtre »

Ces dernières années ont été très intenses. Thomas Jolly a mené de front la saga éblouissante de Henry VI de Shakespeare pour laquelle il a reçu le Molière du metteur en scène en 2015, la suite, Richard III, Le Radeau de la méduse de Kaiser, les opéras Eliogabalo de Cavalli et Fantasio d’Offenbach. Des aventures artistiques et humaines qui lui ont apporté beaucoup de joie et quelques déceptions. Entretien

photo Chloé Le Drezen

Vous avez été beaucoup metteur en scène et moins acteur. Est-ce que cela vous a manqué ?

J’ai beaucoup joué avec Richard III et j’ai eu plusieurs aventures heureuses en dehors de la Piccola Familia. Le manque vient de là, de la compagnie. J’ai envie de revenir à la Piccola. Après avoir mené des projets avec de grandes équipes depuis quatre ans, je souhaite aussi revenir à des formes plus petites, pas moins intenses, mais à des dimensions humaines.

Arlequin poli par l’amour, Toâ, Piscine (pas d’eau), Henry VI, Richard III… Est-ce que ces pièces forment une suite logique ?

J’ai l’impression que oui. J’ai toujours défendu que le théâtre devait accueillir de grandes aventures. Je n’ai pas de problème pour monter un spectacle avec une chaise et une ampoule. Mais attention à ne pas oublier les grandes œuvres. Logiquement les grandes pièces se jouent sur les grands plateaux. Je n’ai pas mis en scène Henry VI par malice. Je n’ai pas fait grand pour faire grand. J’ai fait ça parce que cela avait du sens. On peut déployer les choses et cela crée une dimension lyrique, corporelle. Dans ce parcours, il y a aussi quelque chose de militant.

Est-ce que le plaisir a toujours été là ?

Il est revenu parce que les choses sont claires. Henry VI a été une aventure qui m’a dépassé. Je n’ai pas été très surpris par le fait que l’on en parle. Nous avons proposé 18 heures de théâtre. A la fin de la représentation, le public était debout. C’est logique. En revanche, en étant surexposé, j’ai découvert la violence, la véhémence de certains retours. Nous avons commencé ce travail en 2009 avec la compagnie avec notre bonne volonté. Comme c’était merveilleux, nous avons continué. L’idée de mettre en scène Richard III était logique. Il n’y avait pas du tout eu de stratégie. A cause de cette violence, mon désir a été émoussé pendant un temps. Mais, avec le public, ce fut toujours très heureux.

Où est-il ce plaisir ?

Je sens que j’ai encore besoin de réfléchir là-dessus. Je ne suis pas perdu. Je sais où est mon plaisir. C’est jouer. Je mets en scène à partir de l’acteur que je suis. Je suis un metteur en scène qui joue. Comme Antoine Vitez, Jean Vilar, Olivier Py, Patrice Chéreau, Éric Lacascade… Des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup d’admiration. Mon travail passe par une compréhension intime. En fait, je mets en scène par accident.

 

 

Est-ce que votre vision du théâtre a changé ?

Elle se creuse. Le théâtre devient un militantisme. Il doit être exigeant et populaire. L’un va avec l’autre. La question du théâtre populaire est relié à l’exigence. Or, cela a été abandonné. On ne peut se réjouir que le théâtre concerne seulement une trop petite part de la population. Bien sûr, il y a l’action culturelle, le théâtre public, une politique tarifaire… Mais en tant qu’artiste, je me dois de réfléchir à cette question du théâtre populaire. Il ne faut pas oublier que le théâtre vient du nombre. Aujourd’hui, on sait que les idées se radicalisent. C’est dommage que le théâtre reste encore nébuleux après 70 ans de décentralisation culturelle. Il est temps de se bouger. Les paroles se libèrent parce que nous avons les outils pour cela. Tout le monde parle et c’est tant mieux. Mais il faut apporter les outils pour être curieux de l’autre plutôt que le rejeter, pour préférer le débat à la violence… Le théâtre est cet outil.

Quels sont vos rêves de théâtre aujourd’hui ?

Aujourd’hui, j’ai envie de passer à un stade supérieur. Nous avons exploré tous les endroits. J’ai envie d’être à l’initiative d’un nouveau type de lieu. Quant aux œuvres, j’ai toujours plein d’envies. Après Henry VI, j’ai eu peur de ne plus en avoir et… pas du tout. Je ne suis pas passéiste. Quand une aventure est terminée, elle est terminée et on part sur une nouvelle. Dans mon travail, j’ai aussi envie de recentrer sur l’acteur, la machine la plus intéressante du théâtre.

L’image est absente de vos créations. Est-ce que le cinéma fait partie de la liste de vos envies ?

Je suis en train d’écrire une série. J’arrive à l’image par ce biais. Comment écrire l’œuvre ? Comme utiliser l’image pour la traduire ? Cette traduction me passionne. Je réfléchis aussi à une première expérience théâtrale virtuelle, un nouveau moyen de narration dont on ne soupçonne pas le potentiel pour le théâtre.