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Tiago Rodrigues à Terres de Paroles : « tout le monde a le droit de vivre l’expérience exceptionnelle de l’art »

photo Francisco Levita
photo Francisco Levita

Après Bovary lors de l’édition précédente, Tiago Rodrigues revient au festival Terres de Paroles avec Sopro (Souffle), une nouvelle création inspirée de la rencontre avec Cristina Vidal, souffleuse au théâtre depuis quarante ans. Depuis plus de dix ans, cette figure incontournable du théâtre portugais construit une œuvre plurielle et généreuse, se moque de tous les codes traditionnels pour inventer des moments de grâce, de délicatesse, d’humour et de poésie. Entretien.

Pouvez-vous faire théâtre de tout ?

Oui, bien sûr. Je pense que la limite du théâtre n’est pas la source parce que toutes les sources sont possibles et désirables. Si on a les ingrédients nécessaires alors le théâtre existe. Pour moi, la seule limite est éthique. Sinon, on peut travailler à partir d’événements, de différents phénomènes, de documents d’archive, de l’imagination, des choses intimes, des vivants, des morts, de la poésie, de la litterature… Depuis plusieurs années, la théâtre a beaucoup avancé sur ce sujet. Comme il va au-delà des limites, il fait aussi avancer la société.

Est-ce que le théâtre doit alors s’inscrire toujours dans le présent ?

Je pense que c’est une quête du présent. J’ai toujours revendiqué et je me suis toujours approprié le passé qui ne nous appartient pas pour être dans le présent et questionner l’avenir. Oui, le théâtre est un art du présent. Il existe quand le présent est là, quand le public est là. Avant, les répétitions, ce n’est pas du théâtre. C’est juste le travail qui permet d’arriver au théâtre. Au théâtre, il faut donner de l’espace à l’imprévu, à l’erreur, à l’inattendu et dialoguer avec le public.

Faut-il toujours une part de mystère ?

C’est obligatoire pour moi. Quand je suis en contact avec une œuvre exceptionnelle, il y a toujours un pourcentage d’inexplicable. Je ne saisis jamais tout. C’est là, pour nous, interprètes, qu’est notre travail : expliquer, réfléchir pour des siècles pourquoi est-ce ainsi. Pourquoi Antigone décide de mourir ? Qu’est-ce qui se cache derrière le sourire de la Joconde ? Cette part de mystère est importante. Ce mystère se perpétue jusqu’à ce qu’il soit élucidé. C’est ce qui fait d’ailleurs l’actualité des œuvres classiques. Celles-ci traversent le temps parce que l’on cherche encore des réponses.

Faut-il aller chercher des explications uniquement par les mots ?

Toutes les formes de théâtre sont légitimes. Comme les esthétiques. Personnellement, je cherche un théâtre où tout est écrit. L’écriture, l’oralité, le texte sont au centre de mon théâtre. Je peux voir parfois des pièces avec de grandes scénographies que je défends. Mais je ne peux pas faire cela. Je n’ai pas été élevé à cela. Ce n’est pas mon désir et je n’ai pas appris à la faire. Je préfère les spectacles simples, faciles à monter.

Ce sont les textes qui vous ont aidé et vous aident encore à avancer ?

Oui, bien sûr. Il y a des textes qui m’ont formé, des écrits que je découvre encore et qui m’aident à regarder le monde avec plus de courage. Tchekhov est un auteur sur lequel je reviens de temps en temps, qui me donne du courage. J’aime beaucoup son regard mélancolique, tendre sur l’humanité. Dans la liste des œuvres qui comptent, il y a Don Quichotte de Cervantes, Madame Bovary de Flaubert, Pour qui sonne le glas de Hemingway, c’est un des romans de ma vie. Depuis récemment, je découvre des auteurs portugais contemporains. Ce sont de belles surprises.

Que représente pour vous aller au théâtre aujourd’hui ?

Aller au théâtre devrait être quelque chose de normal. Comme regarder les actualités à la télévision, prendre un petit-déjeuner, aller au travail. Je pense que tout le monde a le droit de vivre l’expérience exceptionnelle de l’art. C’est un sujet qui me préoccupe vraiment. Pourquoi est-ce normal pour une minorité ? Pourquoi est-ce exceptionnel quand la vaste majorité a l’opportunité d’avoir un rapport avec l’art ? Je me bats contre cela. L’art doit traverser la vie des gens. C’est une évidence. Je pense que cela reste un des gestes les plus révolutionnaires fait par un citoyen.

Est-ce un geste engagé ?

C’est en effet une forme d’engagement. C’est un geste citoyen de se rendre dans une assemblée pour débattre d’un sujet de notre société. On fait le même geste au théâtre.

  • Sopro (Souffle) : jeudi 19 avril à 21 heures et vendredi 20 avril à 20h30 au Tetris au Havre. Tarifs : de 18 à 11 €. Réservation au 02 32 10 87 07 ou sur http://terresdeparoles.com