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# 13 / La chaîne du livre est brisée

photo : Creative Commons Zero

C’est un écosystème culturel en équilibre fragile. Celui du livre subit fortement les conséquences de la crise sanitaire. Les librairies sont fermées, les maisons d’édition, à l’arrêt, les auteurs et autrices, confinés. Normandie Livre et Lecture a dressé un état des lieux.

« Le paysage est décimé ». C’est le constat que dresse Dominique Panchèvre, directeur de Normandie Livre et Lecture (N2L). Les différents métiers de la filière du livre sont frappés de plusieurs manières par la crise sanitaire qui sévit depuis quelques semaines. Pour évaluer les difficultés et les pertes financières, N2L a mené une enquête auprès des divers protagonistes et les accompagnent dans leurs démarches.

Dans cette chaîne du livre, il y a tout d’abord les auteurs et autrices. « Par nature, nous sommes confinés », s’amuse Fred Duval qui mesure « la chance d’être édité par de grandes maisons. Mon modèle économique est viable. Je vis bien ce moment et je travaille plus que d’habitude ». Selon l’étude de N2L, 59,6 % des personnes interrogées estiment que « ce temps de confinement pourrait être mis à profit pour écrire, imaginer de nouveaux projets, les concrétiser ». 

Le scénariste de Carmen McCallum porte un regard plus large sur sa profession et voit deux cas de figures. « D’un côté, on trouve les personnes qui ont des commandes et travaillent. De l’autre, il y a celles et ceux qui sont entre deux contrats avec un livre qui devait sortir au printemps et attend aujourd’hui une date de publication. Quand on n’a pas de travail, on n’a pas de revenu ». Traverser ces semaines va être compliqué pour beaucoup. En effet, l’état des lieux de N2L révèle : « 50,9% des auteurs interrogés indiquent cependant que cette crise les prive des revenus nécessaires pour subvenir à leurs besoins pendant leur création ». Le manque à gagner est total pour 25,9 % d’entre eux, plus ou moins 70 % pour 13,8 %, 50 % pour 7 %. Pour les auteurs et autrices s’ajoutent les annulations des ateliers et interventions littéraires.

Cette pandémie vient ainsi toucher une profession déjà dans la précarité. Comme l’affirme Fred Duval, « le salaire de la moitié des auteurs est inférieur au SMIC. 30 % d’entre eux sont en-dessous du seuil de pauvreté. Quant aux autrices, elles sont 50 % à être en-dessous du seuil de pauvreté », rappelle Fred Duval.

« Réinventer un circuit »

Dans les maisons d’édition normande, le soleil n’est pas au zénith. Elles sont 101 dans la région (40 dans le Calvados, 13 dans l’Eure, 11 dans la Manche, 6 dans l’Orne et 31 en Seine-Maritime). La particularité : elles sont jeunes. Plus de la moitié d’entre elles ont vu le jour entre 2006 et 2015. Et elles publient en moyenne 9 titres chaque année. Ce sont donc des entreprises fragiles.

Avec la crise sanitaire, les maisons d’édition voit leur chiffre d’affaires chuter. Pour elles, pas de tournées de diffusion, pas de salons ou de festivals, pas de livraison et, une obligation de reports des parutions. Emmanuelle Viala Moysan le sait déjà : elle ne tiendra « pas plus de six mois. Depuis l’ouverture, je n’ai jamais eu une année tranquille. Il a toujours fallu absorber les soubresauts ». Avec Le Soupirail, sa maison d’édition fondée en 2014 à Mézidon dans le Calvados, elle privilégie « un travail d’artisanat, de découvreur », « un rapport étroit avec les auteurs contemporains et les traducteurs ».

Emmanuelle Viala Moysan poursuit cependant ce travail. « Toutes les sorties sont gelées mais on peut travailler sur le fond avec les écrivains. J’ai sorti deux textes en février. Il faut maintenant s’en occuper. J’avais prévu la publication d’un roman en juillet. Aujourd’hui, je m’interroge. Peut-être faut-il le sortir fin août pour la rentrée ? ». Pour les maisons d’édition, le printemps est une saison « pleine d’activités. Or les salons sont annulés et non reportés. C’est la double peine. Ce sont des moments pour nouer des liens avec le public et les librairies. J’avais organisé pour le mois de juin une tournée dans le sud de la France. Il faut se tenir prêt au cas où…  Tout est bousculé. Il faut alors travailler avec la nouveauté et le fonds du catalogue ».

Emmanuelle Viala Moysan veut « garder un enthousiasme. Il ne sert à rien de s’apitoyer. Comme nous sommes moins dans le mouvement, il est peut-être temps de réinventer le circuit. Il ne faut pas laisser tomber ». Pas simple néanmoins puisque, en Normandie, seulement 21 % des maisons d’édition ont « une trésorerie qui leur permet de tenir plusieurs mois, voire jusqu’à la fin de l’année ». Des aides sont attendues pour « défendre l’édition indépendante ».