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# 19 / Alain Van Der Malière : « Les artistes ont toujours su résister »

photo DR

Alain Van Der Malière connait parfaitement le secteur culturel, ses fragilités, ses forces et ses rouages. L’ancien professeur de Lettres à Rouen a été directeur de la Maison de Culture au Havre, directeur des directions régionales des affaires culturelles dans le Nord-Pas-de-Calais, en île de France et en Midi-Pyrénées, directeur du Théâtre et des Spectacles au ministère de la Culture, conseiller spécial d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture avant de présider aujourd’hui les Francophonies du Limousin et d’être membre du conseil d’administration du CDN de Normandie Rouen. Analyse du contexte actuel.

Comment analysez-vous la situation dans le secteur culturel ?

Il n’y a pas d’exception culturelle française. Comme tous les domaines, la culture est totalement saisie. Elle est à égalité avec les autres grands secteurs de la vie, dans le lot commun. Comme toutes les grandes catastrophes, celle-ci est le révélateur de dysfonctionnements, met en relief davantage qu’à l’ordinaire les terribles inégalités de la société et les fragilités. C’est le cas dans le domaine culturel qui est en danger. Depuis le 11 septembre 2001, notre société dans le monde occidental avance de sidération en sidération. Il y a eu le matin à Charlie Hebdo, le soir au Bataclan. Moi qui ai désormais un lien avec la francophonie et Haïti, il y a eu 250 000 morts sur cette petite île (après le séisme du 10 janvier 2010, ndlr). C’est à peu près le nombre de décès dû au covid-19 aujourd’hui. D’un seul coup, la catastrophe projette dans un immense ensemble, la culture. Les artistes et les professionnels de la culture nous rappellent que nous sommes dans cet ensemble. La culture est le ciment de la société.

Quels enseignements faut-il en tirer ?

L’art et la culture apparaissent dans toute leur étendue à travers ses travailleurs. 1,3 million de personnes travaillent pour permettre la création. Elles surgissent de la foule. Je pense que cela sera un acquis, au mieux un progrès. D’un point de vue économique, on prend conscience de l’importance de ce secteur. Par exemple, les festivals, les petits comme les grands. Leur poids apparaît de façon plus crue. Les collectivités prennent conscience de ce poids. D’ailleurs, beaucoup d’entre elles ont des projets sur deux ou trois ans. Il y a eu un précédent en 2003 après l’annulation du festival d’Avignon. Cela a entraîné une perte d’une dizaine de millions d’euros pour la ville. Ce sera la même chose cette année. Malheureusement, les rapports de classe restent les mêmes. Tous ne sont pas atteints de la même manière. Tout ce qui peut faire lien grâce à l’art est aujourd’hui un mur de pierres sèches. Pour certains, il y aura un manque considérable. Pour d’autres, cela ne changera pas grand-chose.

Ce qui est intéressant aussi, c’est l’effort des artistes pour aller vers la société, de trouver des voies différentes. Il n’y a jamais eu autant de bon théâtre à la télévision. Cela a amené le théâtre à s’inscrire dans le virtuel. C’est important. Il ne faut pas hésiter à faire du grand théâtre à la télévision. Pourquoi ne pas transmettre l’ouverture du festival d’Avignon ? Cela n’enlèverait aucun spectateur sur place et permettrait d’en gagner des milliers. Cela oblige à inventer, à passer par les périphéries au lieu des centres villes.

Comment voir la suite ?

Je rejoins ce qu’a dit Christophe Honoré (scénariste, réalisateur et metteur en scène, ndlr). C’est une sale période et personne n’a à gagner dans ces moments-là. Ce qui apparaît également, c’est que cette pandémie provient très nettement de déséquilibres écologiques et nous touche chacun individuellement dans notre propre survie. Si on ne comprend pas de cette alerte, on ne comprendra jamais rien. Dans cette société qui est dans l’immédiateté, dans l’efficacité, dans l’instant, dans la réactivité, la tragédie va donner des œuvres, amène l’être humain à des réflexions sur la vie. Elle l’oblige à penser à son destin, à la survie des siens et des autres. Tout cela va se traduire dans les créations qui vont suivre dans les cinq ou six ans. Comme le terrorisme a pu impulser des œuvres.

« Des échos dans le vide »

Quelles seront les conséquences pour les artistes ?

Cela va être très compliqué. Il y aura des compagnies en grande difficulté. Nous sommes dans un pays très structuré. Les grands théâtres subventionnés vont honorer les contrats. Ils ont été d’une honnêteté totale. Il reste la question de l’intermittence. La revendication des artistes est de transformer 2020 en année blanche. Je pense que cette demande va être entendue. Je suis assez confiant là-dessus. Il va y avoir un moratoire. Je ne vois comment on ne prendrait pas soin des artistes et ne maintiendrait pas ce grand ensemble qui alimente la culture. J’espère, dès la fin du confinement, que chaque direction des affaires culturelles réalise une analyse très fine de la situation de chacun des acteurs et apporte des solutions. Il faudra bien deux saisons pour s’en remettre.

Quelle est l’urgence ?

Le monde entier est touché. Le coronavirus est partout. Il n’y a pas de situations exceptionnelles parce que tout est exceptionnel. Nous sommes face à ce danger commun. Il va falloir corriger les inégalités. Mais ça, nous le disons depuis tellement longtemps. Il faudra être attentif aux économies des structures et des compagnies. Beaucoup d’artistes sont indépendants.

Il y a une inégalité aussi au niveau des territoires.?

Oui et je pense que beaucoup de collectivités locales ont pris des positions. Je suis très décentralisateur. Je comprends les artistes qui ont eu un long silence. C’était des échos dans le vide. Les collectivités vont prendre le relais. Nous sommes terriblement centralisés. Comment faire alors pour adapter les sorties, les aides selon les situations ? En France, aujourd’hui, il y a une coupure entre l’est et l’ouest. Cela oblige à reprendre une partie de notre géographie.

Comment sera-t-il possible de créer demain ?

Ce sera compliqué jusqu’en octobre. Je suis persuadé que la vie sera à peu près normale à la rentrée. C’est une épidémie, elle aura une fin. Je ne suis pas plus pessimiste que cela. Les artistes ont toujours su résister. Ils vont se remettre à répéter, à jouer. Peut-être à plus de 30 centimètres l’un de l’autre. Il y a toujours une vitalité dans la culture.

Alain Van Der Malière, président du festival Les Francophonies photo DR