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# 20 / David Bobée : « Si nous pouvons jouer, ce sera une vraie fête »

Comment envisager la réouverture des théâtres à un moment où doit se préparer la prochaine saison et reste hésitante et confuse la parole du gouvernement ? Pendant ces semaines de confinement, le centre dramatique national de Normandie Rouen a proposé de revoir plusieurs spectacles dont les créations de son directeur, David Bobée, d’écouter des lectures, de suivre Forteresse, le roman de Ronan Chéneau. Il a aussi imaginé la saison à partir de septembre 2020. Explication avec David Bobée.

Est-il possible de prendre des décisions dans ce contexte chaotique ?

Oui, c’est possible. Cela n’est qu’une chaine de décisions prises sans guide, sans mot d’ordre, sans expérience permettant de composer. Nous naviguons à vue. Même avant le confinement, j’ai pris des mesures en ayant deux boussoles en tête, le sens de la responsabilité de directeur et le sens de l’éthique. J’ai un frère qui habite en Italie et j’avais une photo en temps réel de ce qui allait se passer en France. Depuis mi-février, j’ai pu informer mon équipe des gestes barrières, le public, mis en place le télé-travail. Les théâtres ont été fermés avant l’annonce le samedi (par le Premier ministre, Edouard Philippe, ndlr). Je me devais d’assurer la sécurité physique des personnes et financière des personnels permanents. Les salaires ont été versés entièrement et il n’y a pas eu recours au chômage partiel. Le CDN a honoré l’ensemble des engagements pris avec les intermittents, ceux qui étaient sous contrat et aussi sur le planning. Il a fallu aussi assurer la sécurité des bâtiments et leur pérennité.

Il a été annoncé que les théâtres pouvaient rouvrir pour des répétitions. Est-ce possible au CDN ?

Honnêtement je ne sais pas comment faire. Il y avait trois résidences prévues. Une est reportée la saison prochaine. Celle de Mehdi Georges Lahlou, dans deux ans. Et la mienne est en suspens.

Le professeur François Bricaire a écrit plusieurs recommandations pour le secteur culturel. Sont-elles applicables ?

Je me contrefous de ce torchon. Je ne veux pas écouter ces scientifiques sortis des pièces de Molière qui écrivent des textes en fonction de qui les paie. Ce rapport a été commandé par le théâtre privé qui a besoin de reprendre une activité et rentrer des recettes. Pour ce document, les syndicats n’ont pas été auditionnés. Aujourd’hui, je ne me vois pas reprendre une activité. Je ne veux pas participer à une deuxième vague, exposer les gens à un danger quelconque.

« Valider notre propre humanité au contact des autres »

Comment construisez-vous cette prochaine saison ?

Je ne suis pas devin, ni virologue. Je ne sais pas ce qui va advenir. Mais j’ai besoin de m’accrocher à une perspective qu’est la rentrée. Si tout le monde tient ses engagements, alors il n’y a pas de raison que la crise impacte les plus faibles. Nous avons une programmation comme si de rien n’était. Sans rapport humain, le théâtre est vide de sens. Si nous pouvons jouer, ce sera une vraie fête. Sinon, il sera toujours temps de s’adapter aux consignes sanitaires du moment, de penser à un plan B, de jouer dans la rue, dans les parcs, au pied des immeubles. Nous avons des engagements. Si nous ne jouons pas, c’est un secteur qui va crever. Les subventions sont sur les comptes bancaires et nous dépensons justement l’argent public. Nous remplirons notre mission. Dans le pire du pire, on annulera.

Comment retrouver la confiance du public et faire en sorte que venir voir un spectacle reste un plaisir ?

Il y a un besoin de théâtre plus fort que jamais. Les crises sont toujours des périodes révélatrices. Elles mettent en lumière l’égoïsme des uns et l’énorme solidarité des autres. Il y a aujourd’hui un renversement des derniers de cordées. La logique libérale, les mathématiques comptables ne sont plus des modèles à suivre. Ce que cette crise révèle encore, c’est que nous avons besoin de nous voir, de nous toucher, de valider notre propre humanité au contact des autres. Le théâtre est le meilleur outil pour arriver à cela. C’est sa force. Je pense que le public sera au rendez-vous. Il y aura une baisse probable de fréquentation et une réduction aussi probable des jauges à la rentrée.

Les écrans ont été une bonne alternative à la fermeture des salles ?

Cela a permis de garder le lien avec le public. Ce n’est pas l’objet le plus révolutionnaire mais ce lien ne s’est pas rompu.

photo : David Bobée © Arnaud Bertereau – agence Mona