Macha Gharibian : « je cherche à jouer une musique qui insuffle de la poésie »

photo : Richard Schoeder

Dans son troisième album, Joy Ascension, Macha Gharibian entremêle ses différentes cultures, arménienne, française et américaine, pour composer une musique empreinte d’énergie, d’amour et de colère. Révélation des Victoires du jazz 2020, la pianiste a trouvé sa voie musicale, après le classique, pour exprimer toute sa profondeur, ses questionnements et, dans ce disque, une lumière. Elle en montre le chemin dans Joy Ascension. Macha Gharibian jouera en trio vendredi 14 avril au Volcan au Havre pendant le festival Musique Musiques.

Qu’est-ce qui motive l’écriture d’un album ?

C’est très instinctif. On tire un fil. Et, avec ce fil, on ne sait pas où l’on va. C’est la même chose quand on écrit une histoire. Dans ma musique, il y a beaucoup d’épisodes de ma vie. J’ai vécu plusieurs changements, des moments difficiles. Cette période passée, j’ai ressenti de la joie. J’avais aussi le sentiment d’être à ma place. Dans l’album précédent, il y a cette partie de moi plus sombre. Pour Joy Ascension s’est révélée cette partie lumineuse. J’avais envie de partager cette lumière. Oui, les choses viennent réellement de manière instinctive. Elles prennent forme ensuite en studio avec les musiciens.

Certes vous parlez de lumière mais l’album reste néanmoins tout en contraste.

Oui, c’est vrai. Comme une plante d’ailleurs. Avant qu’elle connaisse la lumière, sa racine a besoin de se nourrir dans le sol, d’aller puiser de l’eau. Comme il n’y a pas de soleil sans la nuit. Le fait d’avoir connu cette période difficile me permet d’apprécier la joie et la profondeur des moments.

Comment se confrontent vos différentes influences ?

Je suis comme un cuisinier qui ne peut s’empêcher de mettre des épices dans son plat. Ma musique transpire de par ma culture. Ma mère est née en Tunisie. Mon père est arménien. Je suis allée aussi vivre ailleurs. Il y a toujours certaines épices qui se mélangent… Le hasard nous fait produire des choses qui sont liées à un moment de la vie. Ma cuisine musicale est colorée de tout ce que j’ai entendu.

Pourriez-vous comparer votre démarche à celle d’un peintre ?

La musique est un processus qui est lent et long. Quand j’écris un premier morceau, je produis un premier jet. Celui-ci donne une direction. Interviennent ensuite les musiciens. La démarche d’un musicien peut en effet être mise en parallèle à celle d’un peintre. La musique a une texture. Les musiciens viennent apporter leur patte, leur culture, leur histoire. Ce qui rend la musique plus grande. J’ai besoin que ma musique s’enrichisse de contrebasse, de batterie. Ce sont toutes ces teintes qui font ressortir la lumière.

Ce qui n’empêche pas l’improvisation.

Les morceaux évoluent toujours assez vite. Ce qui est enregistré donne une empreinte. Quand on choisit de faire du jazz, on sait que l’on doit nourrir cette musique différemment. Bien sûr, nous gardons cette liberté. Cette conversation entre nous doit rester fraiche. La scène devient alors un prolongement de l’album. Peu importe ce qui arrive, nous retomberons toujours sur nos pattes.

Quand avez-ressenti la nécessité de chanter ?

Avec la voix, ce fut plus long. Quand j’ai commencé à chanter, je voulais faire comme mon père (Dan Gharibian, membre de Bratsch, ndlr). Or il a une grosse voix et je m’épuisais à chanter comme lui. Quand on commence quelque chose, on a besoin d’un modèle avant de prendre son propre chemin. J’ai ensuite appris à accepter ma voix et je l’accepte dans tous les registres. Mais cela a mis une vingtaine d’années. Plus j’ai envie de chanter, plus j’ai envie de jouer du piano. Aujourd’hui, je ressens une certaine liberté. J’accepte ma voix telle qu’elle est. Et puis on ne pas pas mentir avec la voix. Quand je chante, c’est la musique qui me guide. Si la musique ramène à un imaginaire, la voix, elle, entraine vers quelque chose de plus terrien.

Est-ce que ce fut la même démarche pour passer de la musique classique au jazz ?

J’ai en effet commencé par la musique classique. Pendant vingt ans, j’ai fait entre six et sept heures de piano par jour, à jouer du Bach, du Beethoven, du Rachmaninov… Cela a forcément impacté ma manière de travailler. Quand j’ai voulu jouer du jazz, j’ai mis la même exigence. J’ai aussi interprété les musiques des grands noms du jazz comme Oscar Peterson. Mais je savais que je ne serais jamais comme eux. D’ailleurs, ce n’est pas l’endroit où je peux m’épanouir. J’ai vite su que je voulais jouer ma musique, comme Aziza Mustapha Zadeh. Ma musique est un mélange de mes racines, de tout ce que j’aime. Au fil des albums, j’ai l’impression de simplifier les choses. Je cherche à jouer une musique qui insuffle de la poésie et de l’imaginaire.

Infos pratiques

  • Vendredi 14 avril à 20h30 au Volcan au Havre
  • Première partie : Portico quartet
  • Tarifs : de 17 à 5 €
  • Réservation au 02 35 19 10 20 ou sur www.levolcan.com