Friday night fever au 106

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Il pourrait y avoir comme un air de Studio 54 au 106 à Rouen vendredi 15 mars avec la venue de Say She She, groupe américain des plus grisants, chics et disco.  

A l’image des Supremes, des Vandellas, des Marvelettes, des Flirtations, dans les années 1960, de Honey Cone, de Love Unlimited dans les seventies ou encore de TLC et Destiny’s Child dans la décennie 1990, Say She She a toujours passionné l’auditoire. Le look, les chorégraphies, bien sûr, mais surtout les voix, puissantes et harmonisées, constituent une formule gagnante à presque tous les coups. Même aujourd’hui, à une époque où la notion de groupe est largement dépassée par le retour à l’artiste individuel, le choix du trio féminin propose encore quelques très belles histoires comme celle de Say She She ou la rencontre de trois jeunes femmes passionnées par cinquante ans de musique noire américaine.  

En concert vendredi 15 mars au 106 à Rouen, elles chantent, elles dansent, elles rient et elles s’appellent Piya Malik, Sabrina Mileo Cunningham et Nya Gazelle Brown. La première est anglaise et ses deux comparses sont nées à New York, ville où elles se sont rencontrées et y sont devenues les meilleures amies du monde avec la passion du chant, l’activisme politique et l’humour comme points communs. De cette forme de fraternité est née le projet Say She She, un trio vocal soutenu par quatre musiciens issus des groupes Orgōne, The Dap-Kings, The Shacks et Chicano Batman dans lequel officie aussi Piya. Des poids lourds de la soul actuelle pour accompagner la formation dans ses pérégrinations musicales au gré des décennies.

Parce qu’il est bien question ici de voyage dans le temps tout en conservant un œil voire une oreille sur le présent. Say She She voit plus loin que la soul qu’elles affectionnent même si ce genre tient une large place dans le set et sur les deux albums réalisés à ce jour, Prism en 2022 et Silver en 2023. Une soul fortement marquée par l’esprit dansant du disco comme le fut en son temps leur mentor et influence principale Nile Rodgers du groupe Chic. Les trois filles lui rendent d’ailleurs hommage sur le titre C’est si bon (c’est chi chi…) et évidemment avec leur nom en forme de clin d’œil au tube planétaire Le fric. En retour, le musicien et producteur génial a déclaré sur CBS : « Je sais tout d’elles ! Je souhaite à Say She She tout le succès du monde, d’abord parce que je pense que c’est cool qu’elles soient influencées par Chic, mais aussi parce que je pense que c’est cool qu’elles jouent de manière aussi organique. J’aimerais qu’elles soient plus connues que nous. »

Il y aura un long chemin avant d’atteindre la notoriété de Chic mais les trois filles avancent à grands pas. Les deux albums ont reçu un accueil dithyrambique et la tournée européenne affiche complet au Royaume-Uni. Proposer une sorte de néo-disco en 2024 pourrait paraître risible mais le style n’a jamais vraiment disparu ici ou ailleurs. Son fameux rythme et marqueur principal, le « four on the floor », sévit toujours dans la musique électronique et dans la pop. On n’a jamais rien inventé de mieux pour danser.

Plusieurs groupes, Scissor Sisters, Purple Disco Machine, Hercules and the Love Affair cultivent encore le genre sans compter le retour supersonique et gagnant de Sophie-Ellis Bextor et son Murder on the dancefloor qui envahit à nouveau les ondes et le Net en ce moment. Oui, le disco fédère toujours autant. Pourtant ses débuts n’ont pas été des plus faciles. Née sous l’appellation Philly Soul (ou sound) à Philadelphie à l’aube des seventies, cette soul ultra orchestrée, portée par ce rythme binaire si simple et parfait à la fois, arrive sous la forme de disques vinyles dans les clubs improvisés d’un New York au bord de la faillite en 1973. Là, se rencontrent, dansent et plus si affinités, les rejetés de la société : les minorités ethniques (Afro-Américains et Porto-Ricains pour l’essentiel) et les homosexuels. Ils trouvent dans ces hangars désaffectés, ces lofts transformés en clubs privés, des lieux de réconfort où personne ne les juge sur la couleur de leur peau, sur leur orientation sexuelle… Ils dansent jusqu’au bout de la nuit et donnent un vrai sens à la fête que, bientôt, d’autres rejoindront en masse avec l’explosion du disco, nom apparu en 1973 mais qui ne sera effectif qu’à partir de 1974 en tant que style musical. 

L’image du disco est généralement liée aux paillettes, cols pelle-à-tarte, pantalons pattes d’eph et autre boule à facettes mais tout ceci existait déjà bien avant. Le disco est avant tout un vecteur musical d’idées, un mur contre le racisme et la violence, une philosophie qui prône l’hédonisme comme moyen de réconciliation et recherche du plaisir… Un symbole du militantisme et un aspect essentiel pour le groupe Say She She qui ne manque pas d’évoquer dans ses albums certains thèmes de société comme le contrôle des armes à feu, sujet important traité dans la chanson Norma, ou le féminisme comme l’expliquait Piya pendant la promotion de Silver : « Nous sommes un groupe de femmes, nous sommes toutes diverses et issues d’horizons différents. Nous sommes amies et vivons dans ce monde fou en Amérique à une époque où ils essaient de nous dépouiller d’une grande partie de nos droits. »

Piya et ses amies ne lâchent rien. La musique, bien au-delà de ne proposer qu’un aspect festif et une émulation contagieuse, leur permet d’exprimer leur militantisme au grand jour, et le second album reflète parfaitement cet état d’esprit. Silver propose différentes ambiances, soul langoureuse et glamour sur l’excellent Astral plane, passage par les nineties pour Entry Level et son lot de vibes, référence au Tom Tom Club pour Forget me not, mais aussi du funk, de la ballade deep soul et, en toute logique, du disco moderne… Le tout dans un registre très produit et contemporain même si la session d’enregistrement a été réalisée sur bandes, à l’ancienne, et sorti chez Karma Chief, division du fameux label Colemine Records. Un signe ostentatoire de qualité. 

Alors direction les quais de Rouen vendredi où s’ouvrira momentanément une faille temporelle vers le mid-70, une époque où sensualité et maquillage à outrance allaient de paire, où Serpico et Kojak enquêtaient dans les bas-fonds de Big Apple, où Mohamed Ali mettait KO George Foreman dans le combat du siècle… où le disco réunissait finalement tout le monde dans un même élan d’euphorie, d’amour et de fraternité.

Infos pratiques

  • vendredi 15 mars 2024 à 20 heures au 106 de Rouen
  • Première partie : Apollo
  • Tarifs : de 19 à 4 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com
  • Aller au concert en transport en commun avec le réseau Astuce