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# 22 / Valérie Baran : « il est urgent de repenser la réouverture de nos lieux »

photo : Le Tangram

Il n’est pas simple d’être à la tête d’une structure culturelle puisque beaucoup d’incertitudes planent encore sur ce secteur déjà fragile. La période de déconfinement n’a pas commencé et le gouvernement français n’a toujours pas autorisé l’ouverture des théâtres, ni de donner de date. Entretien avec Valérie Baran, directrice du Tangram à Évreux et Louviers.

Combien de dates ont été annulées au Tangram ?

Toute la fin de saison a été annulée. Il y a tout d’abord le festival Dédale(s) avec sa dizaine de spectacles, puis une quinzaine de dates pour la scène nationale et aussi une quinzaine de concerts. Il n’y aura pas non plus les spectacles de fin d’année au Cadran. Cela représente en tout une enveloppe de 150 000 €. Nous avons pu reporter la majeure partie des concerts, sauf deux ou trois qui se déroulaient dans le cadre de tournée internationale. Ce fut plus compliqué pour la scène nationale parce que la saison prochaine était bien avancée. Nous avons été dans une démarche solidaire et honoré nos engagements envers les artistes et les techniciens.

Pendant de nombreuses semaines, le gouvernement n’a pas évoqué le secteur culturel. Quelles décisions avez-vous pu prendre ?

C’est toujours possible de prendre des décisions. Cela ne veut pas dire que les décisions successives ne se contredisent pas. Comme on dit au Québec : cela fait partie de la job ! On peut se dire aussi : il est urgent d’attendre ou il est préférable de reporter des décisions. Cependant, on avance pas à pas parce que l’activité induit un ensemble de décisions. Nous avons tout d’abord été dans une posture solidaire. Il y a ensuite des décisions que l’on aimerait prendre. Comme la réouverture des théâtres. Là, c’est non.

Le ministre de la Culture a évoqué la réouverture des théâtres pour des répétitions. Est-ce envisageable ?

Ce n’est pas aussi clair que cela. Comment fait-on pour respecter les gestes barrières quand on est une compagnie de théâtre, de danse, de cirque ? On ne peut pas faire jouer des artistes à 3 mètres de distance. Nous attendons avec beaucoup d’impatience de pouvoir offrir un espace de travail.

À quoi ressemblera la prochaine saison ?

Cela a été une vraie question. J’ai décidé de construire une saison idéale qui doit commencer en septembre et finir en juin dans les différents équipements du Tangram, au théâtre Legendre, au Cadran, au Kubb à Évreux et au théâtre du Grand Forum à Louviers. Nous avons beaucoup réfléchi avec l’équipe. Nous avons considéré que cela n’était pas pertinent de se rogner les ailes tout de suite. Personne ne sait comment va évoluer ce virus, quelles seront les décisions de l’État. Le secteur culturel est un secteur économique de poids. Aujourd’hui, il est urgent de repenser la réouverture de nos lieux avec un nombre de contraintes et de conditions. Si une deuxième vague surgit, nous serons à nouveau confinés et prendrons des dispositions. À un moment, il faut poser des actes, établir une saison. Si on peut jouer, ce sera formidable. Sinon, on s’adaptera au dernier moment. C’est la grande force de nos métiers. On ne peut avoir une société hyper hygiéniste dans laquelle il n’y a plus d’art et de culture. Ce serait une société déshumanisée et on enverrait l’homme à l’état d’animal.

« C’est une blague. On rigole beaucoup »

Que pensez-vous du rapport du professeur Bricaire sur les recommandations d’accueil dans les structures culturelles ?

C’est n’importe quoi, surréaliste. C’est une blague. On rigole beaucoup. Dans beaucoup de situations aujourd’hui, les gens sont dans l’impossibilité de respecter les gestes barrières. Ils se côtoient. Les choses ont été pensées hors du contexte général.

Quelle a été votre réaction à l’annonce du plan culture par le président de la République, Emmanuel Macron ?

Nous attendons de vraies mesures. Dans les annonces intéressantes, il faut retenir la formation à distance pour les équipes. Les personnes qui ont moins de travail peuvent se former. Il y a aussi le prolongement des droits pour les intermittents du spectacle. Le fait de proposer une année blanche était attendue mais elle doit assurer des revenus acceptables. Pour l’instant, il n’y a pas de décisions fortes. Les chiffres avancés sont ridicules par rapport aux autres secteurs. Quant à l’attitude particulière du chef de l’État, elle est révélatrice du peu d’attention et d’intérêt pour ce secteur culturel.

Quelle sera selon vous la réaction du public ?

C’est la grande inconnue. Nous avons un public fidèle, abonné qui vient à beaucoup de représentations. Celui-ci sera présent. Le travail que j’envisage d’entreprendre, c’est de faire venir le public éloigné de la culture grâce à la médiation, à un projet hors les murs, si tant est que les petites communes soient partantes. Il y a un appétit du public pour les spectacles. Certains souffrent de ne plus vivre cette émotion. La capacité de résilience du  public est importante. Je reste optimiste.

Comment garantir le même plaisir ?

Pendant cette période que nous venons de vivre, il y a eu un usage abusif des écrans. L’envie de retrouver la qualité d’un spectacle en direct sera là. Si tout le monde est masqué, ce ne sera pas le même plaisir. C’est une question importante. 

Photo : Valérie Baran © Le Tangram