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Dédicace au Havre : Eddy Simon à la Galerne

Confidences à Allah est le premier roman de l’écrivaine marocaine Saphia Azzedine. Adapté en 2009 pour le théâtre et mis en scène par Gérard Gelas, c’est aujourd’hui en bande dessinée que l’ouvrage trouve une nouvelle forme sous la plume d’Eddy Simon et le pinceau de Marie Avril. Rencontre samedi 12 décembre à la Galerne au Havre avec Eddy Simon, scénariste havrais, et Marie Avril, dessinatrice.

 

Eddy SimonConfidences à Allah est l’histoire de Jbara, jeune fille de 16 ans en prise aux interdits religieux et au machisme qui impactent avec violence son quotidien, dans un village reculé du Maghreb. Son échappatoire, elle la trouvera bien malgré elle dans son bannissement du village familial parce qu’elle tombe enceinte sans être mariée, et dans la prostitution qui paradoxalement lui permettra d’être libre, évoluant désormais au cœur de la grande ville. Sa vie s’organise alors entre espoirs éphémères, joies véritables et déconvenues brutales, rythmée par des Confidences à Allah emplies de questionnements, de constats définitifs et de naïve tendresse…

Hasard du calendrier terroriste, ce texte résonne avec force en cette fin d’année terrible. Et questionne la condition sociétale de certaines femmes, prises entre habitudes culturelles on ne peut plus patriarcales, et lecture réactionnaire des textes… Rencontre avec le scénariste havrais Eddy Simon.

 

Quelle a été votre rencontre avec le texte de Saphia Azzeddine, et de votre désir de l’adapter ?

Au départ, j’ai vu l’adaptation théâtrale du roman de Saphia Azzeddine. Et j’ai été extrêmement séduit par le texte imagé, vif, par le discours très actuel. Je me suis ensuite jeté sur le roman et tout s’est confirmé au delà des espérances : une écriture coup de poing, réaliste et parfois légère, ciselée, qui va droit au but. Un choc. Avec un propos direct et fort mais qui échappe au manichéisme, et qui reste malgré tout optimiste. L’héroïne, Jbara, croit à son destin, avec ses propres moyens, à savoir peu d’éducation et de culture, avec comme seul atout pour s’en sortir son physique, une jeune femme qui avance comme elle peut, n’accusant personne, jamais misérabiliste, lumineuse… Au fil de la lecture, à chaque phrase, de nombreuses images me sont apparues. Puis évidemment l’envie d’adapter le texte en bd.

 

Confidences copieConfier le dessin à une femme, Marie Avril, est une idée très pertinente au regard du sujet traité. Est-ce vous qui avez imaginé cette collaboration ?

Oui. Il y a beaucoup de scènes de sexe dans le roman, de moments trashs, durs concernant la condition des femmes. C’est pour cela que j’ai voulu une dessinatrice, justement pour que tout cela ne soit pas glauque ou voyeuriste. J’avais déjà travaillé avec Marie Avril et j’ai tout de suite pensé à elle. J’ai eu la chance qu’elle accepte.

 

Cela n’a pas dû être chose facile pour elle ?

Elle a accepté tout de suite, mais en effet, beaucoup de choses, comme par exemple des femmes habillées en burqa, n’ont pas été faciles à mettre en images pour elle. Marie savait que l’album allait lui prendre 2 ans de sa vie et que ce serait un parcours compliqué, mais elle s’est appuyée sur le discours universel du texte, sur ce parcours de femme atypique et exemplaire.

 

Au regard de l’écriture frontale, sans détour, du texte, avez-vous été tenté ponctuellement par une certaine autocensure ?

Pas du tout. On ne s’est même pas posé la question. Le propos de Saphia Azzeddine est positif malgré tout, et cela aurait été lui faire offense que d’en modifier des éléments, si durs soient-ils. L’album est totalement libre.

 

confidencesMarie Avril, dans la postface, écrit que « la réalisation de l’album a été particulièrement touchée par la tragédie du 7 janvier 2015. » Dans quelle mesure ?

Le scénario a été écrit il y a maintenant 4 ans et nous avons complètement fini l’album en février 2015. Donc c’est surtout à sa sortie en juin qu’il aurait pu être impacté par les événements. Dans le climat ambiant, dessiner sur la couverture de l’album une jeune fille voilée mais un peu dénudée allait-il passer pour de la provocation ? Et quid du titre Confidences à Allah ? Allait-on être attaqués verbalement ou physiquement ? Autour de nous, il y a eu beaucoup de craintes, mais notre éditeur Sébastien Gnaedig nous a dit qu’il était hors de question d’édulcorer les choses, qu’il ne fallait rien changer. Et en effet, il n’y a pas eu de problèmes particuliers… Au contraire même : les retours ont été très bons, et notre message à tous considéré comme utile en ce moment, un message de tolérance porté par une femme dont le rapport « doux » à la religion doit l’aider à la libérer…

 

Vous avez coscénarisé les deux tomes des Grandes affaires criminelles de Seine-Maritime (éditions De Borée) et écrit une nouvelle intitulée Prions pour la prison. Est-ce ce que vivent les femmes dans certains pays relève également d’une certaine forme d’univers carcéral ?

Je n’avais jamais fait le rapprochement mais sous certains aspects, oui bien sûr. Dans de nombreuses régions du monde, les femmes ne sont pas libres de penser ou d’agir, et vivent en effet dans un univers clôturé intellectuellement et qui leur refuse une vie quelque peu attrayante. Dans Confidences à Allah, on lui exprime à de nombreuses reprises le fait que ses actes sont « haram », c’est à dire interdits, illégaux. Mais elle entend tellement de fois ce mot qu’il finit pas être vidé de son sens, qu’elle en joue !

 

Quelle est votre relation à la religion ?

Je ne suis pas du tout croyant même si j’ai été élevé dans un environnement religieux catholique. Je respecte toutes les religions, mais je trouve hypocrite et terrible de les utiliser parfois à d’autre fins que l’élévation des gens.

 

Saphia Azzeddine a-t-elle lu votre album et quels retours avez-vous ?

Evidemment, avant de lancer le chantier de l’album, je lui ai envoyé une longue lettre d’intentions en guise de demande d’autorisation d’adapter son roman. Elle m’a fait confiance et il n’y a pas eu de souci. Elle m’a juste précisé quelques points importants pour elle. Quant à ses retours, nous ne les avons pas encore. Elle doit nous les envoyer, mais nous a précisé qu’elle n’avait jamais lu de bande dessinée de sa vie ! L’adaptation de son roman sera donc la première !

 

Propos recueillis par Laurent Mathieu

  • Samedi 12 décembre à 15 heures à la Galerne au Havre. Entrée libre.