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# 29 / La rentrée culturelle se dessine avec de nombreuses inconnues

La crise sanitaire a mis fin brutalement à toutes les programmations des structures culturelles en Normandie et ailleurs. La saison 2019/2020 est bel et bien terminée. Qu’en sera-t-il de la prochaine ? Les contours se dessinent avec néanmoins beaucoup d’incertitudes. Témoignages de Paul Moulènes de La Traverse à Cléon, d’Éric Boquelet du Trianon transatlantique à Sotteville-lès-Rouen de Sophie Descamps du Passage à Fécamp, de Simon Fleury de L’Éclat à Pont-Audemer et de Thierry jourdain de l’espace culturel François-Mitterrand à Canteleu.

Après les annulations, les reports, puis les reports des reports, il a fallu se pencher à nouveau sur la prochaine saison. Le coronavirus est en effet arrivé à un moment où les programmations des salles de spectacles et de concerts se finalisaient. Annuler la copie ? Jamais. Il y aura des propositions culturelles à la rentrée 2020. Peut-être même avant, pendant l’été, si les idées peuvent se concrétiser. Grâce à l’ouverture du Puy du fou ! « On peut penser ce que l’on veut du contenu historique et artistique mais c’est le pied qui a ouvert la porte pour le spectacle vivant à partir du mois de juin. Il va pouvoir se passer des choses ». Paul Moulènes avait vu juste puisque le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé jeudi 28 mai l’ouverture des structures culturelles à partir du 2 juin. 

« Regarder droit devant »

Faut-il aller jusqu’à revoir la copie pour être « corona-compatible » ? Là, les avis divergent. « J’ai renoncé à avoir la même programmation parce qu’il reste plusieurs inconnues et que se pose la question du sens. D’octobre à décembre, il y aura au Trianon des concerts adaptés, des petites formes, des conférences chantées. Nous allons travailler avec les artistes de la région et inventer des rendez-vous », explique Éric Boquelet.

Simon Fleury à L’Éclat ne partage pas cette position. Il garde sa programmation afin de « soutenir les compagnies que nous avons décidé de défendre la saison prochaine. Même si elles doivent jouer devant 80 ou 100 personnes. En fait, il y a une équation qu’il est difficile à résoudre. Doit-on sacrifier le projet des équipes artistiques ou le nombre de spectateurs ? Je ne veux pas contraindre le geste artistique. Nous accueillerons les créations telles qu’elles ont été pensées et conçues ».

Au Passage à Fécamp, Sophie Descamps a ajouté à la programmation prévue quelques reports et pointé déjà des annulations. « Des compagnies n’ont pas pu répéter et ne pourront pas créer leur spectacle l’année prochaine ». Même démarche de la part de Thierry Jourdain à l’ECFM qui vit une « sacrée première année » au poste de direction. « J’ai pu reporter les trois-quarts des spectacles jusqu’à fin 2021. La saison reprendra en octobre, comme d’habitude. Je refuse d’avancer la peur au ventre. Quand un équilibriste regarde en bas, il tombe. Il faut regarder droit devant. Les artistes continuent de créer et nous continuons à programmer. Mais ce fut un casse-tête. Il y a eu des relations quotidiennes avec les productions et les compagnies. Tout le monde a fait un effort ».

À La Traverse à Cléon, Paul Moulènes n’a pas imaginé une mais deux saisons. « Cela s’est fait en accord avec les producteurs et les tourneurs. La Traverse doit garder sa marque de fabrique avec l’accueil d’artistes internationaux, surtout américains. La possibilité de leur venue n’est pas remise en cause aujourd’hui. Si les vols ne sont pas maintenus, nous programmerons des artistes européens aux mêmes dates. C’est une option qui va se confirmer très probablement. À un moment, la réalité va nous rattraper ». Cette réalité, c’est non seulement la liberté de circulation et aussi la question de l’équilibre financier. « Le coût d’une première partie avec une tête d’affiche américaine ou anglaise est viable avec un taux de remplissage que nous connaissons bien ».

Partager autrement

Une autre inconnue : le public. Sera-t-il au rendez-vous à la rentrée prochaine ? Il y a de l’inquiétude chez Sophie Descamps et Éric Boquelet qui prévoit une réduction de jauge. Au Trianon transatlantique, il veut « tirer partie de cette configuration particulière. Il faudra être inventif pour remplir notre rôle social. Quand on vient, on échange avant et après le concert. Dans la salle, nous privilégierons le format cabaret pour préserver une atmosphère de convivialité ».

En revanche, pas de doute pour Simon Fleury. « Les personnes que je croise me disent qu’elles ont hâte de nous retrouver et de s’installer de nouveau dans ce théâtre. Même s’il y aura une petite appréhension au début. Nous apprenons à vivre avec ce virus. Le théâtre, c’est être ensemble. Nous serons ensemble mais d’une autre façon. Si les commerces peuvent le faire alors nous pourrons gérer sans problème ».

Pour Paul Moulènes  il est nécessaire de « mettre fin à la distanciation sociale pour se cantonner juste à une distanciation physique. À La Traverse, nous avons un outil qui permet d’accueillir un public assis et de mettre en place un protocole respectant les mesures sanitaires. Nous allons vivre de nouvelles expériences de concert mais nous entendrons de la musique en live ».

De l’incertitude encore

Pour ces directeurs et directrices de salles, un seul sentiment domine encore. L’incertitude qu’ils ont pu tous partager pendant toutes ces semaines. Sophie Descamps ne le cache pas : « tout le monde est paumé ». Depuis la mi-mars, tous et toutes ont échangé régulièrement. « Cela faisait du bien. Nous avions besoin de parler. Il nous est aussi arrivé de trouver des solutions ensemble », confie Thierry Jourdain. « Nous avons redécouvert notre interdépendance et la solidarité du secteur », se réjouit le directeur de L’Éclat.

Désormais se greffent de nouvelles interrogations. Comme le mode de fonctionnement dans le secteur culturel. « Notre modèle est contraignant. Nous devons toujours nous projeter et nous ne sommes plus capables de prendre des décisions au dernier moment. Il faut retrouver une souplesse », remarque Simon Fleury.

Le directeur de L’Éclat veut également poursuivre sa réflexion sur la place du théâtre. Pendant le confinement, « le théâtre a été un lieu de réunion. Certaines personnes n’étaient jamais venues. Je pense qu’il y a d’autres formes que spectaculaires pour créer du lien avec le public, pour remettre le lieu au centre de la cité. Nous avons perdu cette connexion essentielle ».