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# 31 / Robin Renucci : « Il ne peut y avoir de plan de relance sans le soin de l’âme »

photo Jean-Christophe Barbot

Robin Renucci est avant tout un homme de théâtre. Il dirige les Tréteaux de France, un centre dramatique national (CDN) nomade, et préside l’Association des CDN de France. Regard d’un metteur en scène sur la situation des lieux et sur la façon de créer en pleine crise sanitaire.

Vous êtes le président de l’Association des centres dramatiques nationaux. Quel bilan est-il possible de dresser aujourd’hui ?

C’est encore trop tôt pour dresser un bilan. Il sera fait une fois que l’été sera passé et que les salles auront rouvert leurs portes. Nos lieux ont été sauvés par des outils très importants, comme les aides à l’emploi, les attentions faites aux compagnies. Les 38 CDN ne sont pas en danger financier et ont été dans une grande solidarité. Aujourd’hui, ils reprennent le mouvement. Nous savons qu’il y aura des coûts, encore cachés pour l’instant. Il faut faire face aux éléments standards, puis aux réaménagements. Des investissements sont donc à prévoir. Par exemple, quand le public arrivera en grand nombre, l’entretien sera plus important. Quant à cette idée d’été apprenant et culturel, cela met dans l’embarras certains lieux qui ne sont pas aptes à fonctionner pendant cette période estivale. Par ailleurs, nos brochures ne sont pas parues et nous n’avons pas pu avoir d’échange avec le milieu scolaire. C’est un souci, pour nous, que ce lien se soit interrompu pour la mise en place d’ateliers et pour la diffusion dans le futur.

Quelles sont les répercussions pour Les Tréteaux de France ?

Nous avons une autre relation aux autres parce que nous nous déplaçons vers les autres. Cet été, nous sommes sur les îles de loisirs. C’est très important pour nous. Nous créons Britannicus (de Racine, ndlr) en juillet au festival L’Île-de-France fête le théâtre à Saint-Quentin-en-Yveline, Cergy-Pontoise et Port-aux-Cerises. Nous jouerons devant un public très large qui ne vient pas toujours au théâtre.

« Tout se met en chantier »

Tout est complexe aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous a animé dans la prise de décisions ?

Il faut être en lien avec la DGCA (direction générale de la création artistique, ndlr) du théâtre qui relaie les préconisations du ministère de la Culture. Aujourd’hui, il faut asseoir un spectateur un siège sur deux et lui demander d’être masqué. Pour les directions, c’est beaucoup de décisions à prendre et il y a une marge de fonctionnement qui n’est pas si précise. Tout se met en chantier et c’est du cas par cas. La majorité des répétitions a repris dans les lieux. Il y a cependant une minorité de CDN qui n’envisage pas de reprendre avant septembre. Nous constatons aussi un nombre important de reports de création.

Comment est-il possible de créer ?

Nous nous soucions tout d’abord du lien à retisser avec le public. Nous vivons une crise biologique. Elle est aussi mentale et spirituelle. Il faut maintenir les programmations, peut-être modifier les spectacles et augmenter le nombre de représentations pour proposer des séries. Aux Tréteaux de France, nous n’avons jamais arrêté. Nous avons beaucoup travaillé via Internet avec l’équipe de l’administration et avec les comédiens. C’était des italiennes. Nous avons joué à distance. Cela a en effet modifié notre façon de faire et nous allons même peut-être garder les outils numériques pour le travail à la table. Cela oblige à être plus discipliné. En répétition, il arrive souvent que beaucoup parlent en même temps. J’ai bien vécu tout cela. Par chance, nous avons travaillé sur Oblomov (de Gontcharov, ndlr), une œuvre bien choisie il y a un moment déjà. C’est l’histoire d’un confinement, d’un homme ne voulant pas sortir de sa chambre. Les intuitions, à nous les artistes, viennent de notre perception du monde. La frénésie dans laquelle nous sommes nécessite en effet une pause.

Comment prévoyez-vous de rassurer le public ?

Le ministère de la Culture doit le faire à nos côtés. Début mars, le président de la république est allé au théâtre avec son épouse. C’était un acte volontariste, peut-être inopportun. Aujourd’hui, il faut faire un signe. C’est un travail collectif et individuel et nous sommes mobilisés. Tout cela est anticipé. Nous serons certainement dans de nouveaux dispositifs scéniques. 

« Le service public a cette mission : réduire les inégalités parce que l’art appartient à tous »

Comment alors assurer une convivialité ?

Cet été, ce sera plus simple parce que nous allons jouer à l’extérieur. Prendre un verre à distance, c’est aussi possible. Le port du masque n’est pas toujours problématique, sauf s’il fait très chaud. Aux Tréteaux de France, nous travaillons masqués. Les acteurs répètent masqués. Nous nous y habituons. Ils vont jouer aussi masqués. Le jeu de théâtre va peut-être prendre plus de corporalité. Avec un visage masqué, muselé, le jeu devra être plus incarné et ce, jusqu’au bout des doigts et des orteils. 

Que pensez-vous du plan culture ?

La meilleure disposition prise, c’est l’année blanche pour les intermittents. C’était la première mesure à prendre. Il y a un gel sur les dépenses allouées à la culture. Aujourd’hui, nous espérons un dégel. Nous sommes dans l’ordre du soin. L’art est aussi vital que l’air. Il ne peut y avoir de retour à l’air libre sans art, de plan de relance sans le soin de l’âme. Parce que nous vivons une crise de santé mentale. Et les lieux de soin, ce sont les théâtres. Le numérique peut rapprocher mais il a séparé aussi. Il faut investir dans l’éducation artistique et culturelle. Je pense qu’il y a un désir d’art à l’école. Pendant le confinement, il y a eu une forme d’école buissonnière. À la rentrée, il y aura un recentrage sur les fondamentaux pour rattraper les retards. Ce n’est pas suffisant. Il faut investir d’arrache-pied dans l’éducation artistique et culturel parce que l’art permet une élévation.

Est-ce que les écrans ont été une bonne alternative ?

Oui, il y a eu une recrudescence de culture sur les écrans. Mais il faut se méfier. Cela ne doit pas devenir une standardisation. C’est tellement plus facile. L’art vivant, le spectacle vivant, le lien physique sont primordiaux. Sinon, cela creuse les inégalités. Le service public a cette mission : réduire les inégalités parce que l’art appartient à tous. Comme on a parlé de guerre, il faut mettre en œuvre tous les outils de guerre dont la culture pour résoudre cette crise. La culture est salvatrice. L’ennemi qu’est le virus est toujours présent et agresse aussi les cerveaux.

photo : Robin Renucci © Jean-Christophe Barbot