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# 44 / Simon Falguières : «  J’adorerais ouvrir un lieu et y apporter diverses langues et pensées afin d’effacer les fantasmes de l’autre différent et dangereux »

photo Simon Gosselin

Simon Falguières a emmené sa troupe, Le K, jusqu’au bout des répétions de la nouvelle pièce. Mais pas de création pour Les Étoiles lors de cet automne 2020 à La Colline à Paris, comme il était prévu. Se mêlent alors étrangement des sentiments de joie d’un travail achevé et de frustration de ne pas pouvoir le partager. Auteur, metteur en scène et comédien eurois, Simon Falguières défend un théâtre populaire et généreux, crée de jolies fables poétiques, philosophiques, drôles qui invitent à réenchanter le monde. Entretien.

Dans Les Étoiles, Le héros, Ezra, perd les mots. Est-ce que cette période que nous traversons vous fait aussi perdre les mots ?

Ce qui est émouvant, c’est que cette histoire a été écrite avant le confinement. Le héros s’enfuit de chez lui et part effectuer un voyage poétique, métaphysique pour retrouver les mots. Du fait que nous ne pouvons pas jouer et que chacun s’est enfermé chez soi, j’ai l’impression que les mots sont en lévitation. Je passe des journées silencieuses. Je lis. Nous avons terminé la création le 11 novembre et je suis très heureux du spectacle. Nous avons pu tenir la joie jusqu’au bout. Je considère que c’est un privilège d’avoir pu aller jusque-là. Je me laisse maintenant le temps de redescendre, de me nourrir des mots. Nous attendons avec impatience le retour du public afin que notre art retrouve son sens. J’ai du mal à concevoir un théâtre sans lui. Je m’en sens incapable. Parce que ce n’est pas du théâtre. Cela demande un travail colossal pour inventer une forme poétique.

Est-ce que ce moment confiné est propice à l’écriture ?

Je pense que oui. J’ai prévu de m’y remettre prochainement. Ce moment me ramène à un endroit d’étude. Je commence par la lecture. Il y a tout un travail intérieur au préalable. C’est parfait pour un auteur. Encore faut-il que les histoires viennent de lectures essentielles. Après une telle création avec Les Étoiles, je suis comme une éponge remplie d’eau. J’attends qu’elle soit toute sèche.

Quelles réflexions occupent votre esprit ?

Il y a beaucoup de réflexions. Ce que nous traversons pose de vraies questions sur le sens de tout. Pour tout le monde, créateur ou pas, cela amène à une inquiétude très grande pour les jours à venir. Je suis inquiet pour ma part à moi. Je me sens cependant privilégié et je n’ai pas envie de me plaindre de ma personne. Je suis surtout inquiet pour celles et ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Que pouvons-nous faire pour garder avec un lien avec ces personnes-là ? Je pense aussi aux enseignants à qui on demande énormément. Après les attentats, la rentrée a été très dure pour eux. Je pense aux gens dans la rue, aux libraires, à la jeunesse qui a grandi avec les attentats. Il y a le système démocratique qui commence à tituber. Comment peut-on se mettre au centre de la cité avec le travail culturel et raconter des histoires qui vont réconcilier, tisser un lien ? C’est par le travail pratique que nous y parviendrons, les œuvres populaires et poétiques. Il faut faire du bien et se faire du bien.

 » Il y a des choses à réinventer « 

Faut-il penser votre métier autrement ?

Ce qui me questionne avant tout — et cela peut me mettre en colère — c’est le silence. On n’a pas parlé de l’endroit de la culture. J’y réfléchis tout le temps. Je n’ai pas de grandes réponses ou de pensées gravées dans le marbre. Je pense que l’on ne pourra pas refaire de la même façon. Tout pourra reprendre sens quand on aura à nouveau un lien direct avec des yeux qui regardent et des oreilles qui écoutent. D’ici là, il m’est difficile de repenser mon art. Tout ce bordel met les deux ou trois années à venir dans une sorte de questionnements. Au sein de la compagnie, cela pose des questions sur comment on crée, pour qui, à quelle fréquence et dans quel système économique… Nous mettons toutes ces questions sur la table. Quelle alternative avons-nous ? Il y a des choses à réinventer. Le rêve est de revenir à un endroit de création locale, de retisser des liens avec des personnes qui se sentent abandonnées. 

Est-ce avoir un lieu pour la compagnie ?

J’adorerais ouvrir un lieu et y apporter diverses langues et pensées afin d’effacer les fantasmes de l’autre différent et dangereux. C’est vraiment quelque chose que j’aimerais avoir. Mais cela va pendre du temps. Nous réfléchissons à ouvrir un espace un peu alternatif, hors des sentiers habituels. Ce serait un lieu de création, d’art et de poésie pour les compagnies et les autres. Ce genre d’aventures peut exister si elles sont menées de manière collective. Les histoires sont universelles et peuvent nous relier. C’est ma croyance.

D’où vient-elle ?

C’est très vieux. Le rapport à la fable, au conte m’a toujours fasciné par leur portée magique. Cela vient des histoires racontées au bord du lit par mon père et par ma mère le soir avant de m’endormir. Elles nous réconcilient, nous rattachent à tous les millénaires. C’est formidable d’entendre des histoires qui passent par le verbe et pas seulement par l’image. Le tout numérique, l’omniprésence de l’image me font souffrir.

Comme les images d’actualité ?

Je me suis fait happé par les infos. En ce moment, je me mets à côté, sur la rive, et je regarde le fleuve couler le plus loin possible. C’est dangereux et anxiogène. Cela crée du fantasme. Il faut faire attention à ces endroits où tous les messages deviennent facilement une vérité. Il faut faire attention à ce surplus d’infos qui ramollit le cerveau et le corps. J’écoute une fois par jour.

  • photo : Simon Gosselin