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# 54 / Sylvain Wavrant : « Dans nos créations, nous pensons à la crise d’après qui sera écologique »

Sylvain Wavrant a fait de la taxidermie un art pour sensibiliser sur le rapport entre l’homme et l’animal, valoriser la faune sauvage, si maltraitée, et alerter sur nos comportements égoïstes. Ses talents se mesurent également à travers son travail au théâtre, dans la création de costumes, comme celui de Richard III que porte Thomas Jolly, ou de scénographies. La mythologie vient nourrir ses créations profondes et bouleversantes. Artiste généreux, au regard doux et malicieux, Sylvain Wavrant mène divers projets au sein du collectif Nos Années sauvages. Entretien avec le plasticien.

Est-ce que le premier confinement a été un moment de création ?

Ce fut l’occasion d’avoir du temps, d’envisager une nouvelle vie. À l’endroit de Nos Années sauvages, j’étais pris dans l’énergie du moment, dans le désir avec, parfois, des problèmes pour gérer le stress. On passait d’un projet à un autre. Le confinement est arrivé et il a ralenti un peu tout. Il a fallu le considérer comme une chance potentielle, positiver ce moment de crise et le transformer en une force. Je me suis demandé ce que j’avais envie de faire, quel projet je souhaitais mener. J’ai compris que j’avais besoin de temps et d’espace, de me concentrer sur des projets et de retrouver cette notion de plaisir dans la création. 

Qu’avez-vous réalisé et projeté ?

Pendant le confinement, je me suis remis au dessin. J’ai ressorti mes crayons, mes fusains et ma gomme. Comme je venais de déménager, j’ai réalisé une fresque sur un mur en m’inspirant du mythe de Diane et d’Actéon. Un thème que je voulais développer lors de la résidence au centre d’art de Lectoure (dans le Gers, ndlr). J’étais dans une phase de recherche. J’ai filmé les différentes étapes de travail de cette fresque qui mesure 10 m2. Je me suis aussi concentré sur des projets avec le collectif. Avec Horizon sauvage, nous avons donné à voir des capsules de photos et des vidéos. J’ai réalisé trois dessins sur des nappes en papier que j’ai collés sur les panneaux électoraux. C’était les élections municipales. Thomas Cartron a accroché deux grandes photos à sa fenêtre. En parallèle, il y a eu un travail sur l’oratorio de Thierry Pécou, Nahasdzáán ou le monde scintillant que j’ai vu à l’Opéra de Rouen. Je suis devenu amoureux de cette histoire. J’ai trouvé qu’il manquait des images, une scénographie, des lumières, des costumes… Pendant les deux mois de confinement, nous avons travaillé, Laurent Martin, Thomas Cartron et moi, sur ce projet. 

Le deuxième confinement a été une résidence au centre d’art de Lectoure.

C’était du 15 octobre au 12 décembre. J’étais avec Thomas Cartron. C’était comme une chance de se retrouver en tant qu’amis et collègues. Nous étions en immersion dans le village. Nous avons installé une exposition au rez-de-chaussée pour montrer qui nous étions. Nous nous sommes inspirés des cabinets de curiosité. À l’étage, il y avait des ateliers de création et ce travail sur le mythe de Diane et Actéon pour évoquer le rapport au regard, à la pudeur, à la métamorphose, à la chasse… J’ai créé 7 à 8 œuvres et une commune avec Thomas. Il y a eu aussi une pièce sonore avec un danseur devant la fresque, comme un diorama. Nous avons été confrontés à pas mal d’annulations de visites scolaires et de contraintes. Il a fallu les surmonter pour toucher le public. Nous avons imaginé les box-cultures, des boîtes avec des protocoles d’atelier, des dessins, des origamis à faire, un guide ludique. Cela a généré du lien avec le jeune public. En fait, 2020 ne s’est pas si mal déroulé même s’il y a eu beaucoup d’annulations avec Nos Années sauvages. Désormais, nous pouvons retrouver le public. Nos métiers sont faits de ça. Il est vrai que le travail du plasticien se fait dans la solitude. Nous sommes confinés pour générer des créations. Après vient le temps de la naissance de l’œuvre avec le public.

Comment cette période a questionné votre métier de plasticien ?

Je me suis demandé si ce que je faisais avait de l’importance. J’ai vite répondu à cette question. Évidemment que oui. Avec le collectif, nous avons des engagements environnementaux. Nous savons que notre travail a un impact poétique et politique. Dans nos créations, nous pensons à la crise d’après qui sera écologique et environnementale. Cet engagement est profond en nous. Nous ne lâcherons pas. Pour cela, nous sommes essentiels et le public nous le rend.

Cette pandémie a donc confirmé vos engagements.

Oui, elle a conforté mes engagements environnementaux et artistiques. Je ne suis pas un artiste militant mais je veux sensibiliser les politiques et le public à la prochaine crise. On a eu le H1N1, la grippe porcine… Il est impératif de revoir les conditions d’élevage intensif et d’abattage atroces. Il faut renouveler notre regard et notre approche de consommation. C’est un constat : un animal sauvage peut bloquer l’ensemble de nos sociétés. La preuve est forte. Maintenant, il faut trouver des solutions et cela se joue au niveau politique et individuel. Les artistes sont un vecteur de communication.

Êtes-vous optimiste sur les futurs changements ?

Il y a un changement microscopique. Cette étincelle peut se transformer en une flamme, puis un grand feu. Cela reste encore trop léger et pas assez rapide. Cela doit passer par un nouvel ordre mondial, des interdictions de pratiques même si celles-ci relèvent des traditions. Les virus circulent. Pour enrayer les propagations, il faut agir partout et d’un seul coup.

Comment avez-vous reçu ce débat sur les activités essentielles et non-essentielles ?

Cela m’a fait poser cette question. Je ne l’ai pas pris comme un affront parce que cela ne m’était pas destiné. Nous ne comprenons pas tous les enjeux de cette pandémie. Il y a une forme d’injustice vis-à-vis du monde culturel. Il viendra le temps où on fera le bilan économique, humain, des émotions pour essayer de rebattre les cartes et envisager la création autrement. Il faudra se retrouver pour comprendre ce qu’il s’est passé. Il y a peut-être une vérité à trouver, des changements à opérer.

Cette crise sanitaire a mis en lumière l’absence de statut des plasticiens et leurs difficultés.

Nous sommes un peu chacun dans notre coin et nous avons du mal à agir. Aux hommes et femmes politiques de se battre pour nous à cet endroit. Nous faisons tout pour rencontrer le public. Mais nous avons besoin de soutien, d’écoute pour envisager la vie comme un endroit de création.