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Abdelwaheb Sefsaf : « Je voulais avant tout raconter cet élan vers la vie »

Accompagné du duo Aligator, Abdelwaheb Sefsaf raconte les espoirs d’un retour en Algérie d’une famille arrivée en France dans les années 1960. Vingt ans plus tard, les immigrés sont encouragés à repartir dans leur pays avec une prime versée par l’État. Pas simple de quitter un territoire avec des enfants nés sur le sol français, nourris d’une double culture, remplis de souvenirs. Avec Si Loin, si proche, un récit-concert, le fondateur de la compagnie Nomade raconte cette tentative, vouée à l’échec d’un retour de ces « Français du futur ». C’est mardi 3 décembre au Rive gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray. Entretien.

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de raconter cette histoire aujourd’hui ?

Ce sont des questions qui m’ont toujours hanté. J’ai des enfants qui sont en âge de se poser ces mêmes questions sur leur identité, leur ancrage à ce territoire… Ils nous ont faits la demande d’aller sur la terre de leurs ancêtres. Nous nous sommes rendus en Algérie, dans le village de mes origines, à la maison de mes grands-parents. Cela m’a motivé à faire ce retour en arrière.

Enfant, aviez-vous ce souhait d’aller en Algérie ?

Quand j’étais enfant, les choses étaient claires. La famille retournera en Algérie et il valait mieux ne pas s’attacher à ce territoire. Mes parents sont nés aussi en territoire français. Ils n’ont pas fait un acte d’immigration. Ils sont allés d’un département à un autre. Pourtant, il y avait les immigrés de première génération. On nous appelait les immigrés de deuxième génération. Mes enfants sont les immigrés de troisième génération. Il y a aura les immigrés de quatrième génération… Je me considère comme un Français du futur.

Est-ce douloureux de revenir sur un tel passé ?

Non, ce n’est pas douloureux mais c’est beaucoup d’émotion. C’est surtout une délivrance. Je me suis mis en paix avec ce passé. L’écriture de ce spectacle a été en fait très salvateur. Cela a confirmé ce sentiment d’appartenance à ce territoire français. Je suis comme un Breton qui habite Marseille. Il est content de revenir de temps en temps en Bretagne et cela ne l’empêche pas d’être heureux à Marseille. Je suis né en France, je suis Français. Nous baignons dans la culture française par un phénomène d’influence et de mondialisation. Comme le rock. On l’a adopté et il fait partie de notre culture.

Quel a été le processus d’écriture ?

J’ai procédé sans méthode. J’ai travaillé avec des primo-arrivants. J’ai recueilli leur récit. C’était mon intention première. Parler avec eux me permettait d’ouvrir une fenêtre sur ma propre histoire. Toutes ces histoires d’exil ont un point commun : tous ont fui et recherché un élan vers la vie.

Pourquoi avoir créé le personnage de Wahid au lieu de raconter à la première personne ?

Je voulais introduire de la distance, de la dérision. Je déteste le pathos. Dans ces histoires, il y a des choses graves et moins graves. Je voulais avant tout raconter cet élan vers la vie.

Quelle est la place de la musique et des chansons dans ce spectacle, Si Loin, si proche ?

La musique a tendance à prolonger les émotions. Et ce, quel que soit le degré de profondeur ou de joie. Elle est, pour moi, un accélérateur de particules. J’aime bien ce côté montagnes russes. La musique est empreinte d’influences. Elle est comme un road-movie. Quant au texte, il amène l’émotion.

Que symbolise ce crâne géant sur scène ?

C’est Souad Sefsaf qui l’a imaginé. Quand elle m’a interrogé sur mes intentions, je lui ai parlé de ce parallèle entre les récits d’immigration récente et cette idée d’élan de vie. Ce crâne de fer s’ouvre et libère des valises. Et les valises, c’est la vie, l’intimité… Ce sont les bagages plus ou moins lourds que l’on trimbale.

Qu’avez-vous pensé du récent débat sur l’immigration voulu par Emmanuel Macron ?

Il faut juste dire les choses dans leur réalité. Il faut se tourner vers les gens en détresse. Il faut leur dire : on va vous apprendre des éléments de culture, notre langue. Cela n’est pas dégradant. Ma mère qui venait des montagnes n’avait pas les codes de la vie. Elle n’avait jamais vécu dans un appartement où l’eau coulait du mur, pour elle. Une voisine italienne l’a beaucoup accompagnée. Il faut se dire qui nous sommes, voir où nos cultures s’entrechoquent. Quand il y a une bienveillance, une sincère curiosité, toutes les peurs s’effacent.

Infos pratiques

  • Mardi 3 décembre à 20h30 au Rive gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray.
  • Tarifs : de 18 à 5 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Réservation au 02 32 91 94 94 ou sur www.lerivegauche76.fr