/

Alain Vircondelet : « L’art a beaucoup été à proximité d’un territoire inconnu, appelé folie »

Historien de l’art, Alain Vircondelet est l’auteur de plusieurs biographies dont celle d’Antoine de Saint-Exupéry, d’Albert Camus et de Marguerite Durras. L’universitaire s’est aussi intéressé aux liens entre art et folie. Sa thèse avait pour sujet la peintre Séraphine de Senlis. Il revient sur le parcours de cette artiste, également sur celui de Camille Claudel et d’Aloïse Corbaz dans un ouvrage, L’Art jusqu’à la folie. Alain Vircondelet sera jeudi 30 janvier à l’IFSI au centre hospitalier à Sotteville-lès-Rouen pour une conférence sur ces vies chaotiques.

Quelle définition donnez-vous au mot folie ?

J’ai longtemps travaillé sur le thème de la folie dans l’art. C’est un vaste continent. J’ai commencé à m’y intéresser avec le parcours douloureux de Séraphine de Senlis. L’art a beaucoup été à proximité d’un territoire inconnu, appelé folie. Ce que je peux dire : la folie est une alternative au conformisme, à la doxa officielle. Elle est une alternative à ce qui empêche d’aller vers des territoires inconnus, invisibles. Les trois femmes auxquelles je consacre un livre ont été internées pour des raisons qui pourraient se justifier. Elles ont été mises à l’abri d’elles-mêmes, de la société afin qu’il n’y ait pas de mixité, de porosité entre la société conforme et celles qui ne s’y conformaient pas. Ces femmes avaient quelque chose de subversif.

Est-ce une absence de sagesse ?

Le mot ne me paraît pas juste. La sagesse est un point d’équilibre. La folie ne répond pas à ce point d’équilibre. Elle est un manque d’équilibre par rapport aux forces, aux pulsions. Or, la société ignore la puissance des pulsions. Elle les contraint. L’expérience de la folie détermine des tensions, des pulsions qui sont parfois incontrôlables. Les artistes peuvent créer sous tension, par ce biais qui est la non-conformité de la société. Parfois, ils ne mangent pas, ne dorment pas. D’autres fois, ils prennent des adjuvants ou croient en des forces invisibles. Séraphine a entendu la Vierge qui lui a demandé de prendre.

Faut-il une libération de l’esprit pour créer ?

Il faut un débrayage des contraintes pour arriver sur des territoires inconnus. Ce peut être ardu, douloureux… C’est un travail de solitaire, excluant. Il y a quelque chose de l’ascèse. Quand on arrive sur ces territoires, tout est possible. L’imaginaire se libère. Il faut avoir la clé et ce n’est pas donné à tout le monde. C’est pour cette raison que la réception des œuvres peut être difficile et étrange. Prenez Monet, si vous regardez Les Nymphéas de tout près, le tableau ne ressemble à rien. Si vous vous en éloignez, vous vous retrouvez face à quelque chose de vertigineux.

L’art est-il une issue alors ?

C’est une issue pour l’œuvre. Les artistes subissent eux-mêmes. Ils n’ont pas le choix. On peut parler d’une pathologie mais il y a une faille, une fêlure chez eux. Chez Séraphine, c’était plutôt dans l’ordre de la psychose. Cette fêlure permet le passage d’impressions, d’informations. Pour moi, les artistes fous sont comparables aux grands mystiques.

Pourquoi le travail de Séraphine de Senlis vous fascine ?

Je suis fasciné par l’histoire de l’art. Quand j’étais étudiant, un enseignant m’a conseillé de m’intéresser à une femme peintre de l’école de Paris dont on ne parle pas beaucoup. Quand j’ai vu les tableaux de Séraphine, j’ai eu un coup de foudre. J’ai été ébloui, submergé par la beauté de ces œuvres. Comme j’ai pu rencontrer les derniers témoins de Séraphine, j’en ai fait le sujet de ma thèse de doctorat.

Et Camille Claudel ?

Elle a un parcours identique à celui de Séraphine. Il y a une base qui est fêlée, puis elle monte comme une vague jusqu’à submergée l’être tout entier. Là, le désordre opère. Quand on regarde les premières sculptures de Camille Claudel, elles répondent aux normes de la sculpture officielle. À quelques nuances près, Claudel est proche de Rodin. À un moment, sa sculpture s’ouvre à des univers différents. Elle est emportée dans un tourbillon avec un supplément d’âme. Il y a une force supplémentaire, un frémissement qui n’est pas de ce monde. Elle a mis le pied dans l’invisible, dans l’illisible.

Est-ce le même parcours pour Aloïse Corbaz ?

Aloïse Corbaz est une peintre d’art brut. Elle a connu des troubles psychiatriques après une rupture sentimentale. Elle démontre que l’art peut apaiser la souffrance. Une femme psychiatre qui la suivait a inventé l’art psychiatrique. Aloïse Corbaz a pu peindre toute sa vie. Elle était dans un état psychique libéré des contraintes sociales et ordinaires. Cela a réveillé et délivré tout un fond intérieur.

Infos pratiques

  • Jeudi 30 janvier à 18 heures à l’IfSI, centre hospitalier du Rouvray, 4, rue Paul-Éluard à Sotteville-lès-Rouen.
  • Participation libre.
  • Renseignements au 06 11 65 19 35