Bande dessinée : Katsuhiro Otomo, héros très discret

photo Stéphane Beaujean

Parmi les géants du neuvième art, Katsuhiro Otomo a une place à part. Celle d’un auteur à la fois extrêmement rare, et dont l’œuvre a un rayonnement planétaire. Une raison impérieuse pour assister à la conférence de presse organisée mardi à l’Auditorium du Louvre et questionner le créateur d’Akira, en préambule du Festival de la bande-dessinée d’Angoulême.

 

photo Stéphane Beaujean
photo Stéphane Beaujean

Katsuhiro Otomo n’est pas disert, c’est le moins que l’on puisse dire. Un mélange de timidité et de culture de l’humilité probablement, commun à nombre d’auteurs japonais. Inutile donc d’attendre du président du 43e Festival d’Angoulême d’analyser ses œuvres ou de s’épancher sur ses propres tourments. S’il préfère donc laisser l’assemblée de ses lecteurs exprimer ce que ses œuvres véhiculent, il accepte de bonne grâce de dire quelques mots sur Akira, le chef d’œuvre qui l’a propulsé dans les années 1980 au rang de maître incontesté du manga moderne. Et de poser un regard rétrospectif sur le mythe qu’il a créé. « Quand en 1988, j’ai réalisé le long métrage animé adapté du manga Akira, j’ai été très frustré par les compromis que j’ai dû faire. En moins de deux heures, je ne pouvais pas résumer tout ce que j’avais dans la tête. Mais pour mon bonheur, quand est sorti le film, la série « papier » n’était pas finie. J’ai donc pu mettre finalement tout ce que je voulais, je me suis complètement donné dans la série. »

 

Et il y en avait à mettre, toutes les composantes anxiogènes d’une vision du monde chaotique encore bien présente chez lui. « Oui, j’ai encore une angoisse par rapport au monde. L’homme est capable de créativité, mais n’est pas un être parfait. C’est pourquoi il fait des choses étranges, mystérieuses. Malgré nous, nous devons faire face à ça… » Tout en restant lucide sur le mirage visionnaire que croient atteindre certains. « On ne peut imaginer ce qui se passera dans le futur, c’est une chimère. Qui aurait pensé il y a vingt ans à peine, que le téléphone portable se serait autant développé, aurait une telle incidence sur nos vies ? Beaucoup d’auteurs de science fiction seront d’accord avec ce point de vue. »

 

Quoi qu’il en soit, Akira a rencontré rapidement un succès phénoménal, devenant un mythe contemporain. Mais le succès n’a pas liquéfié son créateur. « Certaines de mes œuvres ont rencontré du succès, d’autre moins, mais toutes ont autant d’importance pour moi. » Et Otomo de rajouter avec lucidité. « Bien sûr, j’entends les éloges que l’on fait à mon sujet, mais j’essaie de ne pas être perturbé par cela, d’être toujours fidèle à ma façon de créer. »

 

Une constance qui l’amène à collectionner de nombreux projets : un manga autour de la Période Edo, deux films – l’un en dessins animés, l’autre en prises de vues réelles, une collaboration avec le musée du Louvre… «  Cette année, j’aimerais bien y voir plus clair, et pouvoir planifier tous ces projets dans mon agenda. », ajoute-t-il avec un sourire qui trahit l’ampleur de la tache.

 

Otomo, président

Quant à l’adaptation live d’Akira sur laquelle les studios Warner travaillent, Otomo prend un recul inouï. « J’attends de lire le scénario, mais je n’ai aucune envie d’intervenir d’une façon ou d’une autre. Je veux juste voir le film en tant que spectateur ! ».

 

Pour l’heure, ses seuls véritables cris du cœur sont lancés avec humour à ses lecteurs et au festival lui-même. « Je suis extrêmement reconnaissant au festival de m’avoir confié le rôle prestigieux de président, et au public français qui m’a toujours soutenu. C’est pourquoi, moi qui parle peu, j’ai fait un effort pour aller à leur rencontre en France ! ». Sublime preuve d’amour, l’affiche du festival. « J’ai mis beaucoup de temps à la réaliser. Je voulais faire une affiche qui me surprenne. Les cultures japonaises et chinoises m’intéressent énormément, et je m’en suis inspiré, en adoptant un dessin à l’encre de Chine et au lavis. »

 

En y intégrant subtilement la figure de Tintin, l’un des personnages emblématiques de son ami Moebius, Arzach, et la moto de Kaneda, son héros d’Akira. Quant à la polémique autour de l’absence de femmes dans la liste des éventuels présidents du festival de l’an prochain, il la balaie d’un habile revers de manche. « Seules les œuvres elles-mêmes m’intéressent, que ce soit une femme ou un homme qui les a créées. Vous savez, au Japon, dans le monde de l’édition des mangas, on ne prête pas attention à cela. On se demande juste si la série marche ou ne marche pas ! »

 

Propos recueillis par Laurent Mathieu

 

Relik Lemaire 1Parmi les auteurs normands qui font le déplacement à Angoulême cette année, Manu Lemaire. Un déplacement mu par l’amour de la bd autant que par la nécessité professionnelle de rencontrer éditeurs et collègues auteurs.

 

Qu’allez vous chercher au Festival d’Angoulême ?

Je suis allé au Festival d’Angoulême 3 fois. Et toujours en tant que festivalier. A chaque fois, j’y vais pour m’imprégner des choses nouvelles pour moi, pour me ressourcer, pour en prendre plein les yeux ! La dernière fois que je suis allé à Angoulême, j’ai découvert le « manga chinois » et ça a été une véritable révélation, et ça a impacté mon travail. Cette année, même mon prochain album ne sort qu’en mars, je suis invité par mon éditeur Delcourt, et j’espère vivre des émotions de ce type ! Et puis j’espère aussi rencontrer d’autres dessinateurs, prendre des nouvelles du milieu, ce que l’on peut faire qu’à Angoulême tant la concentration de professionnels est importante !

 

Vous y croiserez évidemment Lewis Trondheim, directeur de la collection Shampoing de Delcourt, votre éditeur pour votre dernière bd Rotterdam

Oui, je vais en profiter ! D’autant qu’on a essentiellement conversé et échangé par mail, ce sera l’occasion de le voir en vrai et de le remercier pour le travail éditorial très important et enrichissant qu’il a mené sur mon album ! Ca a été fondamental pour moi, car quand j’ai débuté « Rotterdam », je venais de finir « L’arbre de l’innocent » (scénarisé par Sylvain Atrous, édité à l’ANBD, ndlr), qui était d’un registre complètement différent. Avec « Rotterdam », je suis seul maître à bord, et mon dessin est beaucoup plus personnel.

 

Que représente pour vous le président du festival, Katsuhiro Otomo ?

Je vous avouerai que je ne voue pas un culte à Akira. En revanche, de la série, j’adore le dernier tome, celui qui est composé de dizaines d’illustrations et dessins inédits d’Otomo. C’est un monument de graphisme absolu, avec de magnifiques planches de décors. Finalement, dans ce qu’a fait Otomo, je préfère « Dômu, Rêves d’enfants ». Otomo, avec concision, a réussi à réaliser une vraie bd d’horreur ! Et ce n’est pas facile.