Baudoin vs l’Abbé Pierre

Figure emblématique de la bande dessinée contemporaine, Edmond Baudoin vernira vendredi 5 septembre à 18 heures avec une « performance graphique » l’exposition, Baudoin & l’Abbé Pierre, regards croisés : Esteville, Colombie, Mexique, qui lui est consacrée au Centre Abbé Pierre à Esteville jusqu’au 31 octobre. Sont présentés trois de ses albums dont L’Abbé Pierre, le défi, paru en 1994.

 

 

Comment en êtes-vous arrivé à réaliser cette bande dessinée et comment s’est passée la rencontre avec l’abbé Pierre ?

Au début des années 1970, l’entourage de l’abbé Pierre, voyant que sa santé déclinait, avait eu l’idée de mettre en chantier des sortes de livres-testaments. Il a donc réalisé un livre avec Albert Jacquard, un autre avec Bernard Kouchner, puis mon nom a été évoqué pour faire un livre de bande dessinée. Je n’ai pas compris pourquoi ils m’ont contacté car je ne suis pas croyant ! Mais j’ai quand même accepté et L’Abbé pierre, le défi est né, après que nous soyons côtoyés l’équivalent d’une semaine. Ça été une rencontre très forte, très belle, magnifique, vraiment importante pour moi.

A l’époque, il était réellement très affaibli. Mais j’ai rencontré un homme qui, grâce à ses faiblesses, a réussi à renverser des montagnes. C’était quelqu’un de simple, qui ramenait toujours tout à la simplicité. Et derrière la simplicité, il y avait toujours chez lui une immensité de réflexion, des icebergs de réflexion. Il avait une présence extraordinaire, une capacité à se mettre au présent très forte. Quand j’étais là, il savait tout de moi. Et quand je m’en allais, il oubliait tout pour passer à autres choses ! Il avait une espèce d’évidence avec les choses. Mais avec les gens qu’il côtoyait et qui étaient dans la misère, il ne se servait jamais de la religion. C’était un mystique. Même si je vis 300 ans, je n’arriverai jamais à son niveau ! J’ai essayé de retranscrire tout cela dans l’album.

Puis deux ans après, on m’a remis le prix œcuménique pour le livre à Angoulême. J’ai alors reçu un coup de fil de l’Abbé Pierre. Il me proposait de me rencontrer à Paris. Il m’a alors avoué qu’il n’avait pas lu l’album à l’époque ! Il n’aimait pas beaucoup la bande dessinée. Mais après le prix à Angoulême, il a eu la curiosité de le lire. Et il m’a donné une lettre dans laquelle il disait que c’était la plus belle chose qu’on ai faite sur lui… J’ai été très ému…

 

Relik Baudoin Illustr3 - copieCe rapport particulier à l’autre, ce désir de communiquer vos émotions, est-ce le moteur de votre vie ?

J’ai 72 ans et il n’y a pas si longtemps que ça, j’étais un jeune homme. Et qu’est-ce que l’on fait dans sa vie ? Que fait-on des jours qui passent ? Il faut pour moi retrouver le fondamental qui nous unit sur la planète. Moi je crois beaucoup aux rencontres. Toute ma vie n’est faite que de rencontres. Avec des gens formidables et avec moi-même. Les rencontres vous aident et vous font avancer. Pour être aimé, il faut beaucoup donner. Si je suis comme je suis, c’est parce que j’ai beaucoup aimé et que l’on m’a beaucoup aimé.

 

Et aussi parce que vous avez un désir irrépressible de communiquer par le dessin, par la spontanéité de votre dessin, et de faire confiance à votre trait pour créer de l’émotion, de la poésie…

Absolument. Le trait m’a beaucoup aidé à appréhender le monde et l’autre. Dans La musique du dessin, j’explique que partout dans le monde, si vous demandez à un enfant d’imaginer le son que peut faire une ligne droite, il vous fera un bruit continu. Pour un trait ondulé, il alternera deux notes. Et si vous lui montrez une ligne en zig-zag, il vous fera le bruit d’un âne ! C’est universel. Et c’est aussi magique. On peut aussi se poser la question de savoir de quelle manière on se comporte avec son pinceau devant la feuille de papier blanc. J’y pense souvent. Est-ce que le blanc, c’est le silence ? Et quel silence existe-t-il entre deux traits ?

 

Relik Baudoin Illustr9Vous appréhendez votre trait comme une trace, un témoignage. Le rapport à l’espace et au temps est très fort chez vous. Avez-vous le sentiment que vos destins atteindront la postérité ?

Oui. Mais un artiste n’est pas meilleur qu’un autre. Tout le monde laisse des choses à la postérité. Dans mon village, quand j’étais enfant, il y avait un « idiot ». Il ne faisait rien de spécial, mais 50 ans après, on en parle encore. Et on en parlera longtemps. Tout le monde laisse une part d’éternité. Mais pour cela, il faut qu’il y ait transmission. Aujourd’hui, avec la disparition des cafés dans les villages, avec la généralisation de l’Internet, il y a de moins en moins de contact entre les gens, avec l’autre, avec l’humanité des gens. Ce qui se perd, c’est la lecture de l’humain. L’autre, c’est aussi le contact physique, la peau, l’odeur, la transpiration… C’est cette part d’humanité que j’aimerais laisser dans mon trait, dans mes dessins.

 

Dans vos albums, vous traquez souvent le poétique qui se niche dans les événements dramatiques, la plante qui pousse malgré tout dans la fange. Est-ce que, pour vous, seul l’optimisme est capable de changer le monde ?

Le monde n’est pas facile, mais on n’a pas d’autres solutions que d’être optimiste. Et c’est vrai que je cherche toujours cela. J’essaie de toujours de dégager le positif dans les épreuves. Mais bien sûr, je ne suis pas totalement naïf. J’ai du mal à trouver du positif dans toutes les choses négatives qui arrivent aux enfants. Et quand les malheurs se généralisent dans certains pays, et que le désespoir devient collectif, ça devient très compliqué…

 

Vous prenez toujours soin d’éviter la nostalgie dans vos descriptions des événements ou du passé.

Oui. Quand je me retourne, c’est toujours pour regarder devant, pour me nourrir ici et maintenant.

 

  • Jusqu’au 31 octobre, tous les jours de 10 heures à 18 heures au centre Abbé Pierre – Emmaüs à Esteville. Tarifs : 6 €, 4 €. Renseignements et réservation au 02 35 23 87 76
  • Vernissage en présence de Baudoin vendredi 5 septembre à 18 heures.