Les belles intentions de la politique culturelle régionale

L’ambition affichée a été claire. « La culture doit être accessible à tous ». Une ritournelle chantée maintes fois par les femmes et hommes politiques ces dernières années. Devant plus de 300 acteurs culturels normands, Hervé Morin, président de la Normandie, a lui aussi formulé ce voeu mercredi 3 mai au cirque-théâtre à Elbeuf lors de la présentation de la nouvelle politique culturelle de la Région en présence d’Emmanuelle Dormoy, vice-présidente chargée de la Culture et du Patrimoine, de Catherine Morin-Desailly, sénatrice et présidente de la commission Culture, Tourisme et Attractivité du territoire, « un couple inséparable ». La culture pour tous reste bien évidemment un idéal. L’essentiel est de répondre à la question : Comment ? Là, les réponses de la Région restent encore de beaux principes déjà connus comme « favoriser la vitalité, la diversité de la création ainsi que la circulation des oeuvres », « soutenir les industries culturelles, créatives et numériques »…

« La culture est raciste »

Plus de trois heures de prise de parole qui en ont découragé certains. Trois heures en effet pour lister les belles initiatives déjà existantes et repérées dans la région, comme les PAN (producteurs associés de Normandie) qui réunissent les CDN et les scènes nationales, l’Art et la manière dans le pays de Bray, la rénovation du fort de Tourneville au Havre, le Dôme à Cherbourg… David Bobée, directeur du CDN de Normandie Rouen, a heureusement amené un peu de piment dans cette longue litanie. Il a repris la notion de droits culturels acquis par les citoyens. « S’ils ont des droits, nous avons des devoirs. Tout d’abord le devoir d’éducation : la politique culturelle doit être en lien avec l’éducation des enfants, la pratique artistique. Nous avons aussi un déficit de formation. Les talents quittent le territoire pour se former ailleurs. Nous avons aussi le devoir de l’accessibilité. La culture doit être accessible aux plus éloignés au niveau géographique, social et du handicap. L’autre discrimination est ethnique. En France, la culture est raciste. Aujourd’hui, 30 % de la population n’est pas blanche. La culture ne peut donc pas s’affirmer comme un art par les blancs, pour les blancs. Nous avons enfin le devoir du respect des diversités des pratiques. Nous ne pouvons plus penser l’art de manière cloisonnée ».

Les droits à la culture sont désormais inscrits dans la loi Création, Architecture, Patrimoine du 16 juillet 2016. « C’est important parce qu’elle nous permet d’évaluer notre politique », estime Catherine Morin-Desailly. Ces droits concernent non seulement l’accès à la diffusion des créations mais aussi aux pratiques culturelles. Ce sont des parcours à initier, un travail effectué avec les structures culturelles et aussi les associations des publics empêchés.

Une hiérarchisation

Lors de cette présentation, il y a eu des oublis qui ont marqué les esprits des acteurs culturels. Rien sur les musiques actuelles, une des pratiques artistiques les plus répandues. Les élus sont restés flous notamment sur le dispositif Musique au lycée. « Chaque secteur a des besoins différents. Un diagnostic vient d’être dressé et sera présenté en juillet au Havre », assure Emmanuelle Dormoy. Booster, dispositif d’accompagnement des groupes de musique, n’est pas remis en cause et sera a priori développé. Rien non plus sur la danse, les arts de la rue et la poésie.

Cependant, Hervé Morin a défendu un projet qui se veut « innovant et ambitieux », rappelant « l’urgence culturelle ». Un projet qui suppose tout d’abord « un engagement financier. L’enveloppe allouée au fonctionnement passe de 37 à 40 millions d’euros. Celle pour l’investissement atteint 20 millions d’euros. Nous avons ajouté une ligne supplémentaire de 3 millions d’euros pour la préservation du patrimoine ». La Région continue de soutenir les grandes institutions telles que l’Opéra de Rouen Normandie, les 3 centres dramatiques nationaux, les scènes nationales, les pôles des arts du cirque, les centres chorégraphiques nationaux, les scènes de musiques actuelles…

Le président de la Normandie a défendu « la hiérarchisation des projets. La Région a pour objet de financer des actions qui sont du champ national, régional ou qui ont une approche singulière ». Pour les autres, il faudra convaincre les collectivités les plus proches. Pour ne pas déshabiller un territoire, Hervé Morin souhaite que les intercommunalités s’engagent et se montrent plus généreuses. « Aujourd’hui, les acteurs émergents, ce sont les établissements de coopération intercommunale. Nous allons alors porter des contrats de territoires sur plusieurs années ».

Dans sa politique, la Région envisage d’encourager les réseaux qui existent déjà. Nombre d’acteurs culturels ont émis la volonté et appris à travailler ensemble. « Il faut tisser des liens à travers des réseaux sur des objectifs précis et developper des axes précis », rappelle la vice-présidente.

Des créations

Hervé Morin a néanmoins annoncé la création, très attendue, d’un pôle supérieur d’enseignement du spectacle vivant qui s’appuie sur « les conservatoires, les universités et les grands établissements culturels régionaux ». Le dossier est encore « en négociation avec le ministère de la Culture ». Autres nouveautés : la création de deux fonds en 2018 pour accompagner l’évolution numérique. Le premier comprendra un volet Expérimentation d’usages et de pratiques. Le second sera dédié à l’Economie numérique et nouvelles pratiques digitales.

Le patrimoine tient une place importante dans la nouvelle politique culturelle. « La Normandie est un immense musée » selon Hervé Morin. La Région porte la candidature des plages du Débarquement au patrimoine mondial de l’Unesco. Autres projets : le développement de l’IMEC à l’abbaye Dardenne, la création du pôle muséal Beauvoisine et la rénovation de l’aître Saint-Maclou à Rouen, le financement des Franciscaines à Deauville… Quant à Normandie impressionniste, le festival, « plus contemporain et transdisciplinaire », aura désormais lieu tous les quatre ans avec un rendez-vous « plus concentré » entre deux éditions.

Plus d’un an après son arrivée à la tête de la Région Normandie, Hervé Morin a fixé les grands axes de la politique culturelle qui ne sont a priori pas figés. « Chaque année, nous allons repositionner des éléments de la politique culturelle pour faire vivre la culture ensemble ». Il a promis la tenue des assises de la culture. Une promesse qui devra être tenue.