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Bertrand Belin : « Je fantasme l’idée d’une contribution à un ralentissement de la folie du monde »

Quand on pense à Bertrand Belin, on entend cette voix grave et profonde. Elle est à nouveau là comme un guide dans cette grande fresque musicale où se dessinent la solitude contemporaine, la violence de la pauvreté, la colère, la fuite du temps. Persona est le sixième album de Bertrand Belin, sorti le 25 janvier 2019. Il y a là des fantômes perdus et fragiles dans un monde qui gronde. Le chanteur et écrivain — il publie aussi Grands Carnivores — jongle une nouvelle fois avec une parfaite précision avec les contraires, entre visible et invisible, entre ombre et lumière. Persona est un magnifique album écrit avec une finesse et une élégance. Tout, un mot ou une note ou même un silence, arrive au moment opportun. Bertrand Belin commence sa tournée mardi 26 février au Tetris au Havre où il a passé dix jours en résidence. Il sera mercredi 27 février au 106 à Rouen. Entretien.

Vous chantez Je vois tout, j’entends tout. Où se trouve votre point d’observation ?

Il n’est pas compliqué à trouver. C’est le point d’observation de celui d’un passant, d’un piéton d’une grande ville.

Est-ce que la personne qui observe est l’homme, le citoyen, l’artiste ou les trois à la fois ?

C’est le citoyen… Mais vous avez raison, c’est plutôt les trois à la fois. Je ne suis pas aussi organisé que cela. 

Est-ce le point de départ de votre écriture ?

Non, je ne pense pas. L’écriture est quelque chose de plus profond. Mon observation n’est pas celle d’un scientifique. Je n’y pense pas. Dans une vie, on est obligé d’observer. Tout le monde observe le monde parce que nous y sommes plongés. Ce n’est pas un métier. Dans cette plongée, je suis traversé par des sentiments. Comme vous, lorsque vous regardez une scène dans la rue, un tableau qui vous a ému. C’est une sensibilité générale qui provoque des sentiments.

Vous posez-vous comme un témoin ?

Oui, c’est déjà le cas. Je me place dans une ligne de témoin chanteur. En fait, c’est davantage un témoignage qu’une observation. Je suis un passager de mon époque. Comme mes semblables.

Est-ce que vous pourriez être aussi un militant ?

Non, je ne pense pas. Je suis un musicien. J’ai une autre façon d’exprimer la chose politique, les combats politiques. Là, j’y prends ma part.

La chanson est comme un engagement.

J’ai signé toutes les chansons… C’est l’endroit où je m’engage. Je pense que je ne l’ai pas fait davantage que dans les albums précédents. Peut-être est-ce plus direct ?

Votre voix est très présente dans cet album.

Oui peut-être est-ce plus audible ? Ou lié au propos général ? Je n’ai pas d’explication à cela. Ce n’est pas volontaire. Mais cela est lié au sens et au son, à la rencontre entre un propos et une voix

Est-ce la déshumanisation du monde le fil rouge de cet album ?

Pas tant la déshumanisation du monde — nous ne sommes pas des robots — mais un glissement vers une obscurité, vers un plus grand aveuglement, un fourmillement aveuglant d’actions.

D’où le titre de l’album, Persona.

Il y a de cela. C’est une chose étrange. Persona a des qualités très enracinées dans l’étymologie, dans le sens antique qui vous transportent dans une sorte d’avenir, une transparence de l’espèce. C’est le modèle type d’humain projeté dans la folie. Il embrasse des millénaires et désigne les espèces humaines et la conscience qu’elles ont d’elle.

La batterie marque-t-elle les battements de la colère ?

Je pense pas qu’il y ait une différence de point de vue des batteries dans cet album. J’ai toujours attaché un grand soin à cet instrument. C’est l’ensemble qui est l’expression d’une colère, d’une impatience, d’une urgence… Tout cela est ressenti par les artistes qui le transmettent dans leur musique, qui le passent dans le prisme d’un idéal esthétique. Je fantasme l’idée d’une contribution à un ralentissement de la folie du monde. C’est une quête chimérique.

Infos pratiques

  • Mardi 26 février à 20h30 au Tetris au Havre. Première partie : Terrenoire. Tarifs : 18 €, 15 €. Réservation au 02 35 19 00 38 ou sur www.letetris.fr
  • Mercredi 27 février à 20 heures au 106 à Rouen. Première partie : Chevalrex. Tarifs : de 22,50 à 13,50 €. Pour les étudiants : carte Culture. Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com