Cascadeur : « Plus je vieillis, plus j’ai l’impression de vivre dans une médiathèque »

Maylis de Kerangal et Cascadeur se connaissent bien maintenant. Le musicien a créé un univers sonore à l’ouvrage de l’autrice, Dans Les Rapides, pour l’édition 2015 du Goût des autres. Ils se retrouvent pour un prélude au même festival ce jeudi 9 décembre au Magic Mirrors au Havre. Ce sera une nouvelle lecture musicale, celle de Canoës, une série de récits où les voix ont une importance singulière. Les deux artistes ont emmené dans cette aventure le jazzman, Médéric Collignon. Entretien avec Cascadeur.

Quel souvenir gardez-vous de la première lecture avec Maylis de Kerangal ?

C’était la première fois que je jouais dans ce type de formule, donc un moment important. J’étais en tournée avec le deuxième album. Nous étions beaucoup sur scène. Cela a été un exercice particulier parce qu’il faut ménager beaucoup de nuances afin que la voix ne soit pas submergée par l’intensité musicale. Dans ce livre, Dans Les Rapides, qui servait de base, il y avait l’idée du rock des années 1980. J’ai tout de suite été étonné par l’aisance de Maylis. Avec elle, on est loin de l’image de l’écrivain. Elle a une présence scénique qui n’est pas donnée à tous. Elle a envie d’exister en tant qu’être humain, de mettre en scène un corps et de porter une voix. Un écrivain n’est pas seulement une figure et des mains.

Vous parlez de voix. Dans Canoës, les voix sont très présentes.

Quand Maylis m’a parlé de cette idée de mettre en scène ce livre, elle m’a dit qu’elle avait besoin de souffle. Sachant qu’elle aimait un de mes morceaux sur lequel intervient Médéric Collignon, j’ai trouvé intéressant que le souffle passe par ses instruments et sa voix. C’est devenu un travail d’action et de résonance avec une idée de dédoublement des voix, de leur transformation. Il y a aussi des bruitages. Ce qui apporte un côté archaïque. Parfois, nous sommes presque dans la musique concrète. Même si la musique est inhérente au texte, il y a eu un travail plus expérimental. Nous avons un cadre qui est le texte et nous effectuons un travail d’improvisation dans ce cadre. C’est plus cérébral. Nous sommes dans un voyage dans le temps, dans l’attention et l’intention du moment. Ce qui est très enrichissant.

Comment avez-vous reçu ce nouvel ouvrage, Canoës ?

Ce qui est intéressant avec Maylis, c’est qu’elle change de format. Ses récits sont toujours denses et techniques. Celui-ci est fragmenté. Alors, il faut insuffler un autre temps. On change d’échelle. Nous avons trois entrées avec, chacune, une projection de sons. Nous sommes là dans une sorte de minimalisme. On peut entendre la virtuosité du silence.

Est-ce que vous vous êtes découverts des points communs avec Maylis de Kerangal ?

Nous avons beaucoup de terrains communs et de références communes. Nous sommes nés la même année, le même mois. Il y a un lien entre Ghost Surfer et Réparer Les Vivants avec les personnages issus du monde du surf. J’ai mieux compris en la lisant ce que j’avais pressenti. En règle générale, les personnes qu’on lit, on ne les rencontre pas. Là, cela s’est fait dans l’autre sens. Il y a d’autres liens qui se nouent. Je me reconnais dans ses thématiques abordées. Je me sens embarqué dans son travail. Il y a une parenté, une forme de fraternité qui me plaît beaucoup. Nous nous connaissons de mieux en mieux. Elle me fait rencontrer ses amis. C’est la coexistence d’un être humain qui crée des mondes et d’une œuvre.

Êtes-vous un grand lecteur ?

Oui. Quand je pars en tournée, j’emporte des livres. Plus je vieillis, plus j’ai l’impression de vivre dans une médiathèque. Mon studio est à la maison et c’est une brocante avec les instruments, les livres, les disques, les films… Je suis heureux de ce luxe. J’espère pouvoir tout lire, tout voir mais je sais que cela ne sera pas possible. C’est comme une utopie.

Qu’est-ce que les livres ont une influence sur votre création ?

Quand je crée un album, cela part souvent de récits. Comme je me sens un peu autodidacte, je suis généraliste. J’ai fait des études d’arts plastiques à la fac où on abordait le dessin, la peinture, la psychanalyse, la philosophie… J’ai eu l’impression de faire en même temps des études de lettres et d’ingénieur. J’ai essayé de me repérer là-dedans, de tracer des itinéraires. La première fois que j’ai lu les écrits de Deleuze, j’ai été impressionné. Il explore différents domaines d’activités. Par rebonds, je suis allé lire Proust. Quand on fait de belles rencontres, on a envie d’aller voir ailleurs, d’explorer.

Infos pratiques

  • Jeudi 9 décembre à 19h30 au Magic Mirrors au Havre
  • Spectacle gratuit
  • Réservation à retirer à la bibliothèque Oscar-Niemeyer au Havre
  • photo : Thomas Guerigen