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CharlÉlie Couture : « toute œuvre est une marche à gravir »

photo : Shaan C

On le connait surtout musicien. CharlÉlie Couture est aussi photographe, peintre, sculpteur, écrivain. On se souvient surtout de Comme Un Avion sans elle, Aime-moi encore au moins, le 26e album est prêt et va faire suite à Trésors cachés et perles rares, un disque conçu comme la bande son de sa première biographie, écrite par un auteur rouennais, David Desvérité qui le définit comme un Poète rock. Dans le cadre du festival Piano is not dead, CharlÉlie Couture sera jeudi 25 novembre au Tetris au Havre. Entretien.

Pour ce concert, vous êtes au piano. Est-ce une occasion de revenir à l’essence des chansons ?

Je compose au piano et à la guitare. Au piano si je veux quelque chose d’harmonique et à la guitare si c’est rythmique. Mon premier instrument est le piano. J’ai commencé à jouer à 7 ans. Ma grand-mère était prof de piano et supervisait mes séances de travail. Je suis devant cet instrument comme face à un interlocuteur, un ami, un compagnon. Encore aujourd’hui (mardi 23 novembre, ndlr), une mélodie me trottait dans la tête, je suis allé au piano. Il fait partie de ma vie.

Est-ce que cet ami peut devenir envahissant ?

Le piano est un avion. Le défi n’est pas le même si vous avez entre les mains un bimoteur ou un Boeing. Quand vous commencez une relation nouvelle, c’est très impressionnant. Certains font plaisir, d’autres sont plus difficiles. C’est encore différent si vous voulez le défier. Le piano reste un instrument très complet qui a un gros potentiel que l’on peut utiliser comme un instrument à percussions ou un instrument à cordes. La relation à l’objet est liée à la confiance, à ce que l’on a en soi, à ce que l’on veut écrire. Je me souviens : petit, j’allais au concert à la salle Pleyel avec ma grand-mère. À la sortie, elle me demandait ce que je ressentais. Je devais étayer mes analyses. Cela m’a donné une sensation tridimensionnelle. Il y a la musique, la manière de la recevoir et l’interprétation.

Ce n’était pas un exercice facile.

C’est ça, l’éducation. Cela permet d’inciter les gens à pénétrer quelque chose. Une chanson est un mélange complexe. Ce sont des mots, une formulation poétique d’idées, et des sons. À cela s’ajoute une interprétation ou une perception de l’interprétation qui dépend du charisme de la personne qui l’exprime.

Est-ce que la photographie, la peinture sont ces mêmes mélanges complexes ?

C’est différent. Ce sont des arts qui ne dépendent pas de la vie d’autrui. Quand je peins ou je sculpte, je suis seul. Quand j’interprète une chanson, je suis devant un public et sensible à la manière dont il va réagir, à leurs grimaces ou leurs soupirs de joie. Cela intervient dans ma manière d’interpréter. Aujourd’hui, avec les masques, nous jouons devant un public de fantômes qui a du mal à se manifester. Pourtant, le plaisir pour nous, c’est de retrouver cette fusion.

La création reste alors un moment fragile.

La création est une question de dépression, d’impression, de compression et d’expression. Il faut trouver un équilibre dans tout cela et se libérer d’un poids qui vous pèse. Pendant le premier confinement, c’était différent. Il n’y avait pas de contrainte pour faire un voyage intérieur.

C’est ce que vous dites dans Écrire, une des chansons que vous reprenez dans l’album.

Oui. L’art, ce n’est pas seulement s’intéresser à la question de l’existence, du sentiment amoureux. Il y aussi les choses auxquelles on croit, qui existent. La réalisation et l’humour méritent d’être racontés. Ou encore les sept pêchés capitaux, c’est passionnant.

Dans Trésors cachés et perles rares, vous reprenez d’anciennes chansons. Vous vous êtes donc replongé dans vos productions. Est-ce qu’un album marque un temps dans la création ?

C’est plus que cela. Toute œuvre est un palier, une marche à gravir, un repère. On s’arrête sur une séquence de vie. Ce sont même des repères historiques. L’importance d’une chanson tient à cela. Ce n’est pas tant une chanson que l’album en lui-même. Je pense qu’ils sont aussi importants qu’un événement. C’est ce qui fait la particularité de ces derniers mois. Tout d’un coup, nous avons eu besoin de nous référer à des choses préexistantes. Nous vivons une période de nostalgie. Les gens doutent de ce qu’ils viennent de vivre et vont s’appuyer sur des valeurs qu’ils connaissent déjà.

Est-ce qu’écrire demande à être dans l’instant présent ?

Il y a une grosse différence entre la culture américaine et la culture française. Aux États-Unis, le présent est l’instant 0. En France, le présent est la conséquence du passé. Moi qui ai une histoire, on peut dire une carrière, je peux m’appuyer sur ce que j’ai fait, comme un support pour faire des choses nouvelles. À New York, il m’a été possible de mener des projets alors que je n’avais pas de référence là-bas.

Qu’avez-vous ressenti pendant ces moments passés avec David Desvérité pour l’écriture de votre biographie ?

C’était l’occasion d’interviews de longue durée pendant deux ans. Cela m’a permis de faire le bilan, de savoir où j’en étais, qui j’étais, de me demander comment je suis arrivé à ce point de conscience de ma vie. Il a porté une oreille attentive aux réponses que je faisais. Cela m’a aidé à m’assumer, admettre qui je suis. Je n’aurais pas su faire la narration circonstanciée dans le fil historique qu’il a traité dans le bouquin. Moi, j’écris sur des anecdotes. Je n’ai pas l’ambition de la cohérence. Son livre est vachement bien. Cet album en est le pendant. Comme je fonctionne par deux. Trésors cachés et perles rares est le premier des Essentiels. Le suivant aurait dû sortir l’année dernière.

Vous avez aussi travaillé sur la figure de Rimbaud dans une série de tableaux avec le poète et son téléphone portable ou couvert de tatouages…

Et en écriture aussi. On a fait de ce jeune homme de 17 ans une icône à travers les deux images que nous connaissons. On l’a ainsi immortalisé mais il n’a pas toujours été ce gamin dans son veston, avec la cravate défaite. Il a été un fouteur de merde et un gamin mal dans sa peau. Rimbaud a été d’une énergie incroyable et d’une modernité fabuleuse. Je me suis demandé s’il existait aujourd’hui, à quoi ressemblerait-il ? Son visage n’a pas d’époque. Pendant la période confinée, je me suis amusé avec cette image. Chaque semaine, je voyais apparaître un autre semblable.

Infos pratiques

  • Jeudi 25 novembre à 20 heures au Tetris au Havre
  • Tarifs : de 26 € à 19 €
  • Réservation au 02 35 19 00 38 ou sur www.letetris.fr
  • Dédicace de CharlÉlie Couture, poète rock de David Desvérité à l’issue du concert
  • photo : Shaan C