Pour lui, c’est la première !

Le troisième long-métrage de Claude Duty, réalisateur rouennais, sort ce mercredi 17 juillet au cinéma. Chez nous, c’est trois ! raconte l’histoire de Jeanne Millet, une réalisatrice qui part faire un tour de France pour présenter son dernier film et découvre les habitudes des régions. En Normandie, c’est combien de bises ?

 

photo Jean-Claude Moireau
photo Jean-Claude Moireau

Réaliser un long-métrage est toujours un parcours du combattant. Quel a été le vôtre ?

Filles perdues, cheveux gras a été écrit et tourné dans la même année, et Bienvenue au gîte n’a pas pris beaucoup plus de temps. Mais il ne s’est pas passé la même chose pour Chez nous c’est trois !. Avant, plusieurs projets ont été développés mais n’ont pas vu le jour pour des raisons financières. Ce qui fait perdre énormément de temps.  Alors quand j’ai proposé le synopsis de Chez nous c’est trois ! à un producteur et qu’il a été séduit par l’idée, je ne me suis pas dit que tout était gagné. Nous avons quand même engagé une phase d’écriture avec Christian Clères et écrit 3 versions de scénario, mais ce n’est que quand  le « tour de table » avec les éventuels financeurs a été concluant que nous avons su que c’était bien parti. Viennent alors les phases de recherche de casting, de prises de contacts, de réécriture en fonction des comédiens choisis, de repérages, de choix des techniciens,  puis ensuite tout va très vite, la préparation du tournage et le tournage lui-même. Ce qui est très long, c’est le processus d’écriture et de financement.

Et la recherche de la date de sortie !

Oui ! Le film était fini, – monté mixé étalonné – , il y a déjà quelques mois, mais il a fallu trouver la meilleure date pour le sortir, en comptant les semaines de promo et d’avant-premières qui précèdent. A l’origine, nous avions prévu le 10 juillet, mais Fanny et César, les deux films de Daniel Auteuil sortant le même jour, et étant sur le même créneau « film français / comédie sentimentale », nous avons reculé d’une semaine car des films comme le mien sont fragiles. Et ce n‘est pas plus mal finalement, parce que dans l’année, entre 16 et 19 films sortent par semaine, et le nombre décroit dès la deuxième semaine de juillet, pour remonter après le 15 août. Nous avons donc moins de concurrence et pouvons exploiter le public qui vient quand même au cinéma en été.

 

L’idée de votre film, d’une réalisatrice qui vit de belles choses en parcourant les contrées rurales bretonnes pour présenter son film, est tiré de votre propre histoire ?

Oui et non. J’ai en effet accompagné un film en le présentant en milieu rural, mais c’était en Auvergne et ce n’était pas mon film ! Dans le cadre d’une tournée dans des centres sociaux, des gîtes ruraux, des colonies de vacances, j’ai présenté pendant une dizaine de jours 12h08 à l’est de Bucarest (du Roumain Porumboiu, Caméra d’or à Cannes en 2007, ndlr). Le but était de diffuser la culture dans des endroits où elle ne va presque jamais, et ça a été très enrichissant de parler de cinéma dans ces conditions. Et aussi très marrant de voir des gens assister à des projections en tongs et en short ! Cela m’a beaucoup plu et j’ai eu envie d’en faire un film.

 

Et l’idée de la « tectonique des bises » ?!

Il y a très longtemps, j’ai eu envie de faire un documentaire sur la classification géographique des régions de France en fonction du nombre de bises que l’on y fait ! De comprendre et d’analyser cela, d’arriver à saisir pourquoi on passe d’une bise à deux ou à trois. C’est très flou, et c’est pourquoi c’est bizarre et intrigant. Il y a quelques études sur le sujet, mais j’ai abandonné l’idée faute de temps… Alors quand on a cherché des idées complémentaires, j’y ai repensé, on l’a intégré au scénario, et cela a même donné le titre : Chez nous, c’est trois !

 

Dans votre casting, beaucoup de têtes connues, Noémie Lvovsky, Judith Godrèche, Marie Kremer, Julien Doré, Olivia Bonamy, Stéphane de Groot, Olivier Saladin… Comment l’avez vous imaginé ?

Pour tout vous avouer, nous n’avons pensé à personne en particulier au moment de l’écriture du scénario. Ce n’est que quand nous nous sommes mis en recherche d’argent que nous avons cherché des comédiens, car les financeurs sont sensibles aux têtes connues ! Mais nous n’avons quand même pas de stars comme Depardieu, Auteuil ou Mérad ! Ceci dit, nous avons eu à ce niveau là deux concours de circonstances heureux. Stéphane de Groot est devenu chroniqueur vedette à Canal+ après avoir répondu favorablement à notre demande, et quand nous avons contacté Noémie Lvovsky, elle avait été remarquée dans Les beaux gosses de Sattouf, mais n’avait pas encore fait Camille redouble (nominé aux Césars cette année, catégorie « Meilleur film », ndlr). Concernant Noémie, j’ai été très heureux qu’elle accepte de jouer dans mon film car elle est elle-même réalisatrice, comme son personnage, ce qui crée une mise en abîme que je trouve intéressante.

 

On vous a surnommé il y a quelques années « le Pape du court-métrage », suite à un grand nombre de vos films courts sélectionnés dans les festivals, et vous même participant activement à nombre de débats, rencontres, lecture de scénarios autour de ce format. Comment s’est effectué ce que vous avez longtemps refusé : le « passage au long » avec Filles perdues, cheveux gras en 2002 ?

A l’époque où je ne faisais que des courts métrages (23 courts-métrages réalisés depuis 1974, ndlr), j’étais graphiste dans un grand cabinet, et je n’avais pas le temps de faire autre chose à vrai dire. Les idées que j’avais correspondaient aux moyens que j’avais, je pouvais profiter de l’aide de mes amis, des accessoires ou décors que j’avais à côté de moi. Pour être franc, même si ma passion pour l’image animée est très ancienne, je faisais des films en dilettante, pour m’amuser. Par ailleurs, j’avais peur d’entrer de plain-pied dans le monde du cinéma car cela symbolisait pour moi du temps perdu à attendre, de la déprime quand les projets capotent… je n’avais pas envie de ça. Puis ce sont des hasards et des opportunités qui m’ont amené au long. Mais vous savez, pour moi, un film est un film, qu’il dure 3 heures ou 3 minutes !

 

Chez nous c’est trois ! a été présenté en avant-première à Rouen, Dieppe, Yvetot ou Le Havre. Quels sont été les premiers retours ?

Plutôt positifs évidemment, mais il ne faut pas s’y fier ! Il est rare que des spectateurs sortent de la salle en hurlant au scandale lors d’une avant-première ! Tout est toujours assez bienveillant. Ce qui m’a surpris, ce sont les nombreuses personnes qui nous ont dit que le film était agréable, serein, généreux, sentimental, optimiste… J’espérais cette tonalité, mais je n’imaginais pas que ce serait à ce point là… Pour ce qui est d’aujourd’hui, tout reste mystérieux. Je ne sais pas comment je vais réagir, ce que je vais faire, s’il va y avoir une fête ou pas ! J’ai réalisé un documentaire sur ce thème justement, Mercredi 14h, dans lequel j’interviewais des réalisateurs en attente de la première de leur film. Et aujourd’hui, c’est moi…

 

Chez nous, c’est trois !

  • De Claude Duty
  • Avec Noémie Lvovsky, Judith Godrèche, Marie Kremer, Julien Doré, Olivia Bonamy, Stéphane de Groot, Olivier Saladin
  • Durée : 1h28