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Abd Al Malik au 106 : « Il faut transcender la douleur »

photo Fabien Coste
photo Fabien Coste
photo Fabien Coste

C’est un mélange des genres qui fonctionne. D’un côté, Abd Al Malik, slameur, rappeur à l’écriture bavarde. De l’autre, Laurent Garnier, dj et artiste incontournable de la scène électronique. Les deux artistes se retrouvent sur cet album après avoir collaboré sur Qu’Allah bénisse la France, le film d’Abd Al Malik. Scarifications, sorti en novembre dernier, est un cinquième disque très sombre. Avec un flow brutal, Abd Al Malik revient sur son parcours, sur les maux de la société et toute l’importance de la culture. Le rappeur est samedi 30 avril au 106 à Rouen. Interview.

 

Vous êtes auteur de chansons et de livre, réalisateur. Pourquoi multipliez-vous les modes d’expression ?

Quand on a la possibilité d’utiliser plusieurs modes d’expression, il ne faut s’en priver. En fait, je dis la même chose de différentes manières. Mais, l’important reste l’émotion. Nous vivons une époque dans laquelle il y a certains propos qui doivent être dits sous toutes les formes possibles. Parler d’amour, de paix, de savoir… c’est vital aujourd’hui, plus qu’avant. Il y a même urgence.

 

Est-ce que cet album, plus autobiographique, a un lien fort avec votre film, Qu’Allah bénisse la France ?

Oui d’une certaine manière. Le film traite de mon enfance, de mon adolescence. J’ai grandi à Strasbourg, à la frontière allemande. On fréquentait les clubs allemands et on écoutait de la techno, de la dance. Une couleur musicale que je voulais dans le film. C’est pour cette raison que j’ai demandé à Laurent Garnier de travailler sur ce projet. Nous tournions pendant la journée et le soir, j’écrivais des textes qui étaient en lien avec le film. Je parle à nouveau de mon parcours. Il y a quelque chose de l’ordre du bilan.

 

 

 

Est-ce que cela a été douloureux de revenir sur votre jeunesse ?

Oui et non. Oui parce qu’il y a certaines zones vers lesquelles je n’avais pas envie de revenir. Et non parce qu’il y a aussi des choses joyeuses. C’est une écriture de bilan. Des nombreuses choses de la vie d’adulte sont déterminées par notre jeunesse.

 

Pourquoi parlez-vous de bilan ? N’est-ce pas un peu tôt ?

De fait mettre en perspective des événements qui nous sont arrivés et ce que nous sommes aujourd’hui, c’est faire un bilan. Au-delà de la douleur, c’est très passionnant de regarder le chemin parcouru. Est-on l’homme que l’on a toujours voulu être ?

 

Est-ce se demander si l’on a fait des bons choix ou est-ce C’est comme ça, titre d’une des chansons ?

Pendant mon adolescence, cela ne s’est pas posé en terme de choix. Il y avait la réalité. Il fallait vivre sa vie. Même avec les blessures et les cicatrices. Et ce qui ne tue pas nous rend plus fort. Quand on évoque les cicatrices, c’est qu’il y a vie. Il faut ensuite transcender la douleur. Je pense qu’aucune obscurité n’est assez épaisse pour obstruer la lumière. Nous avons tous de la lumière en chacun de nous.

 

Êtes-vous un optimiste ?

Je suis quelqu’un qui a de l’espoir. L’espoir a un avenir. Il faut faire en sorte que les choses positives adviennent. Et il fait agir pour cela.

 

Avez-vous de la colère en vous ?

Il y a de la colère bien sûr. Mais la colère peut être un moteur. A nous de la transformer en des attitudes positives.

 

Où puisez-vous votre force ?

Nous sommes tous condamnés à être forts. Il est très facile de se laisser aller d’une certaine manière. La vie est un combat.

 

Dans cet album, il y a beaucoup de références littéraires. Est-ce que les auteurs ont été vos guides ?

Ils ont été plus que des guides. Tous ces auteurs, je les considère comme des amis, de grands frères. Ils m’ont aidé. Ils m’aident encore au quotidien. L’essentiel est de prendre de leurs nouvelles de temps en temps, d’échanger avec eux. Pour cela, j’ai eu des enseignants fabuleux. Ils ont été comme des amis qui présentent d’autres amis. Quand on lit le livre d’un auteur, on va ensuite chercher ceux à qui il fait référence.

 

 

 

Pourquoi un hommage à Daniel Darc ?

Pour les mêmes raisons. Il a été plus qu’un ami, un frère. Nous avons tellement partagé tous les deux. Daniel est un des plus grands poètes à la sensibilité extrême.

 

Et à Juliette Gréco ?

Je rends tout d’abord hommage à la femme libre. Juliette Gréco est une grande amie. Nous sommes très proches depuis plus de 10 ans. C’est elle qui a inventé la femme moderne. Dans cette chanson, j’ai voulu aussi parler d’une époque, de la culture. Grâce à la culture, on se connecte aux autres. Aujourd’hui, c’est vital.

 

Que signifie pour vous être un enfant de la République ?

C’est être aimé par ses parents. C’est encore une histoire d’amour. Dans cette république, nous sommes frères et sœurs. Donc, c’est naturel.

 

Est-ce que cela fait du bien de se sentir roi ?

D’une certaine manière, nous sommes tous rois et reines. Avec ce titre, Roi de France, je me suis fait un ego trip. Souvent, c’est mal interprété. Dans le rap, on dit que l’on est le meilleur. Se sentir roi, c’est s’estimer soi-même. Et l’amour propre, c’est vital. Et cela justifie aussi mon prénom. Donc tout va bien.

 

  • Samedi 30 avril à 20 heures au 106 à Rouen. Tarifs : de 30 € à 20 €. Pour les étudiants : carte Culture. Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com