David Bobée : « Je suis un vrai Viking »

photo : Arnaud Bertereau

David Bobée quitte le CDN de Normandie Rouen pour prendre la direction du Théâtre du Nord, le CDN de Lille-Tourcoing-Hauts-de-France. Un nouveau projet pour le metteur en scène rouennais qui affiche un bilan positif avec 40 propositions programmées, 130 levers de rideau et un taux de remplissage entre 80 et 85 % chaque saison. Durant ses mandats, il a créé pas moins de 19 spectacles. Le CDN de Normandie Rouen, avec ses 33 salariés, 17 hommes et 16 femmes, a produit 20 spectacles, et vu son budget passer de 3,11 à 4,35 millions d’euros. David Bobée a fait de cette toute nouvelle structure culturelle en Normandie, née de la fusion de la scène nationale de Petit-Quevilly-Mont-Saint-Aignan et du centre dramatique régional de Haute-Normandie, un lieu incontournable et repéré au-delà de la région. Il y a mené son projet avec des marqueurs forts, autant artistiques que politiques, avec des écritures et des esthétiques plurielles, avec une ouverture sur le monde. La Normandie voit partir un homme et un artiste généreux, talentueux, avec de réelles convictions, qui porte avec force de belles valeurs dont on a tant besoin, qui sait faire des choix parce que la quête de sens l’anime toujours. Entretien avec David Bobée.

Quel sentiment vous anime après cette nomination à la direction du Théâtre du Nord ?

C’est un sentiment contradictoire. Je suis excité à l’idée de changer de vie, de redécouvrir une ville européenne qui se situe à côté de Bruxelles, Londres et Paris. Je suis excité aussi de trouver un grand plateau dans une ville, une école et un atelier de construction. Pour le scénographe que je suis, c’est un outil formidable. J’ai un pincement au cœur quand je pense à mon départ de Rouen, à la ville qui m’a vu naître, que j’ai essayé de servir du mieux que j’ai pu, à l’équipe que je dois quitter et que j’adore et aux théâtres à peine rénovés. La fête d’inauguration de La Foudre sera celle de mon départ.

Que retenez-vous de cette expérience à la tête d’une structure culturelle ?

C’est épuisant. En huit ans, j’ai pris quinze ans physiquement. Mais c’est passionnant. Il faut faire cohabiter des missions de service public avec un projet individuel. Si le travail en pratique peut parfois apparaître un peu lourd, la création d’œuvres qui contribuent à changer le monde est là pour amener cette fantaisie. C’est ce qui amène beaucoup de sens.

Faut-il plusieurs cerveaux pour diriger un CDN ?

Non, c’est un seul et même cerveau qui se déploie en des endroits différents. Ce sont les mêmes idées, les mêmes idéaux qu’il faut viser pour la création, la programmation, l’engagement culturel… C’est le même élan. Pendant ces années, j’ai appris plusieurs métiers.

La création du CDN de Normandie Rouen a été un vrai défi.

Il y a eu la fusion de deux structures avec des bâtiments essoufflés et fatigués, deux équipes qui ne se connaissaient pas. Il a fallu inventer une façon d’être ensemble, créer une structure juridique. Le CDN de Normandie Rouen est le premier à être un EPCC. Nous avons essuyé les plâtres, appris la comptabilité publique. C’est de la haute couture. Tout cela s’est bien passé avec les équipes et aussi les élus qui nous ont accompagnés. Il a fallu aussi donner une identité lisible à ce projet. 

Aujourd’hui, tous les lieux sont presque rénovés.

Le théâtre des Deux-Rives est sublime. La Foudre le sera. À Mont-Saint-Aignan, l’EMS a pu ouvrir après plein de rebondissements au bout de sept ans. Quand il apparaît, il est sous un nuage de pétrole, puis arrive un virus. Il n’y a encore jamais eu une saison entière et une réelle cohabitation avec la ville.

Qu’est-ce diriger un lieu aujourd’hui pendant une épidémie ?

C’est faire attention aux vivants et aux vivantes, se dire que des œuvres vont tomber. Il faut offrir une sécurité maximale physique, sanitaire et financière. Depuis le début, j’ai refusé le chômage partiel afin que l’équipe, les techniciens, les techniciennes, les artistes soient payés. Comme si les spectacles avaient lieu. Il faut aussi veiller à la santé psychique des gens pour pouvoir traverser cette période.

Pourquoi le Théâtre du Nord est outil intéressant ?

C’est un beau et grand théâtre au cœur d’une ville, à proximité de l’Europe du Nord. Il a une place symbolique que j’ai envie d’occuper. Il y a aussi une école. Depuis que je suis arrivé à la direction du CDN à Rouen, cela me manque. À Tourcoing se trouve un autre théâtre. Je rêve d’une action au cœur d’un outil périphérique. Il n’y a pas beaucoup d’autres lieux qui m’intéressent en France. Je fonds quand je suis dans le sud. Je m’énerve quand je suis à Paris. Je suis un vrai Viking.

Qu’est-ce qui a séduit le jury selon vous ?

Je pense que ce sont mes compétences de directeur. Les résultats du CDN sont très, très bons. Il y a quelque chose de rassurant. Quand on est un artiste, on peut aussi avoir la tête sur les épaules. Il y a le succès que rencontre mon travail artistique, la ferveur du public. Les salles sont pleines. Les spectacles deviennent des objets audiovisuels diffusés sur les chaînes nationales. Je pense qu’il y a plus le cadre que le projet qui a séduit. La parité, la diversité, c’est un cadre qui interroge au bon endroit. La vertu en démocratie n’est pas une contrainte. L’égalité est une donnée de base.

Quelle place donnez-vous à l’école ?

Elle a une place importante en terme d’animation du territoire. Quand elle est inexistante, il manque un maillon dans la chaine qui relie la scène au public. Il y a de belles personnalités sur ce territoire normand. Mais personne ne vient intégrer les écoles ici et il y a un départ constant de la jeunesse créative. Ce qui est problématique parce qu’elle est structurante sur un territoire. Elle amène de la vie.

Quel bilan faites-vous en terme de démocratisation de la culture ? La diversité se lit sur le plateau et peu dans les salles.

Cela ne peut pas avoir un impact immédiat. Nous avons été exemplaires en terme de diversité en décidant de donner des moyens de production à toutes les personnes racisées. Celles et ceux qui ont vu Peer Gynt vont se sentir légitimes à aller au théâtre et viser des carrières artistiques. Cela s’inscrit dans un inconscient à long terme et se perçoit doucement sur les plateaux, dans les équipes, dans les directions. Rachid Ouramdane vient d’être nommé à la direction du théâtre de Chaillot. Sur la question de la parité, tout le monde n’y est pas. Nous sommes aussi exemplaires. Je me suis débarrassé de cette contrainte-là. Les femmes sont là et pas moins talentueuses. Je ne m’oblige pas à programmer des hommes et des blancs. On retrouve dans la programmation des gens qui m’entourent. Les droits culturels, c’est aussi l’accessibilité. Le public du CDN est un bel exemple de mixité sociale.

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