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David Greilsammer : « Scarlatti et Cage sont des expérimentateurs »

Deux siècles séparent les compositeurs Domenico Scarlatti (1685-1757) et John Cage (1912-1992). Le pianiste et chef d’orchestre David Greilsammer les réunit dans un même programme pour révéler toute l’audace dans l’écriture de leurs sonates. Le concert se tient mercredi 1er mars à la chapelle Corneille à Rouen. Entretien avec le musicien. Gagnez vos places en écrivant à relikto.contact@gmail.com

 

Vous jouez les musiques de Scarlatti et de Cage depuis longtemps. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire un même programme avec ces deux compositeurs ?

Je les aime beaucoup pour différentes raisons et je les plaçais dans divers programmes de récital. Il y a quelques années, j’ai réalisé que Scarlatti et Cage qui, a priori n’ont rien à voir, avaient des points communs très étonnants. Je voyais des rapprochements qui n’avaient pas lieu d’être. Cela m’a tellement surpris que j’ai commencé à explorer cette affaire.

 

Que faut-il retenir de Scarlatti ?

Scarlatti écrit des sonates au début du XVIII siècle. Elles ont une forme particulière. Elles peuvent être très courtes, asymétriques, reprendre jusqu’à sept thèmes. Ce n’est pas du tout typique pour l’époque. On est loin de Bach, de Haendel qui composent de manière plus conventionnelle. Avec eux, la sonate est un monument, très imposant. Scarlatti, lui, se lance dans une recherche de sonorité très poussée, voire provocatrice.

 

Comment expliquez-vous cette audace ?

Scarlatti a beaucoup voyagé. Et on ne sait pas pourquoi. On n’a jamais retrouvé de lettres sur ce sujet. Il est allé à Naples, à Vienne, à Londres, en France… A la fin de sa vie, il est en poste à Madrid. Là, il compose environ 550 sonates. Et ce, sans répondre à une commande. Ce qui n’est pas la règle. On sent une certaine urgence. Aujourd’hui, il y a encore beaucoup d’interrogations sur ce qu’il l’a amené à écrire autant. Quand je joue ces pièces, je ressens ce mystère.

 

Quels sont les liens avec les œuvres de John Cage ?

Cage écrit aussi des sonates, très courtes, entre 3 et 4 minutes, sans nombre particulier de thèmes. Il fait une utilisation particulière du clavier. Ces pièces sont jouées sur un piano préparé avec des clous, des gommes… Cage cherche également de nouvelles sonorités. Il n’a pas suivi les codes des compositeurs de son époque. Il a fait un truc dans son coin. Il était également écrivain, a beaucoup voyagé. Il y a des en effet des ressemblances ahurissantes.

 

Est-ce que la plus grande similitude entre Scarlatti et Cage ne serait pas leur envie d’expérimentation ?

Absolument. C’est la clé de leur œuvre. Scarlatti et Cage sont des expérimentateurs. On le sait de John Cage parce qu’il a écrit des pièces radicales. Quant à Scarlatti, il a utilisé le clavier de manière singulière. Ce sont tous les deux des visionnaires qui ont cherché la radicalité.

 

Vous avez décelé de nombreux points communs. Quelles sont les différences entre eux ?

Ce sont tout d’abord des compositeurs qui ont écrit à deux ans d’intervalle. Scarlatti a évolué dans une esthétique baroque qui est un monde particulier. Le XXe siècle emploie un langage qui peut apparaître plus radical. Je mets ainsi sur la table des similitudes et des différences à travers un dialogue. Lors du récital, je suis assis entre deux pianos. Je passe de l’un à l’autre, d’un répertoire à un autre.

 

Vous avez précédemment parlé de mystère. L’avez-vous percé au fil des concerts ?

J’ai essayé de m’informer sur les personnalités de Scarlatti et Cage. C’est plus simple d’explorer le monde de ce dernier puisqu’il a laissé des recueils, des correspondances. En ce qui concerne Scarlatti, c’est plus compliqué. Mais il y a l’imagination. Pourquoi voyageait-il ? Certainement parce qu’il avait besoin de bouger. Il ne se sentait à l’aise nulle part.

 

Quelle est la difficulté de ce récital ?

Scarlatti est un des compositeurs les plus virtuoses pour le clavier. Il est très technique. Il a une manière d’écrire qui peut rappeler Liszt ou Chopin. Il a inventé un langage. La difficulté, chez Cage, est qu’il s’est focalisé sur le son. Dans chaque œuvre, on est confronté à de nouvelles sonorités. Ce programme est un véritable défi parce que l’on passe d’un monde à un autre.

 

  • Mercredi 1er mars à 20 heures à la chapelle Corneille à Rouen. Tarifs : de 25 à 10 €. Pour les étudiants : carte Culture. Réservation au 02 35 98 74 78 ou sur www.operaderouen.fr