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Fabrice Melquiot à Dédale(s) : « écrire c’est d’abord aller dans le sens de la joie »

photo : DR

Fabrice Melquiot est un des auteurs dramatiques les plus fascinants. Son écriture est à la fois grave et empreinte d’un doux enchantement, éthérée et d’une puissance immense. C’est toujours sans détours. Quant aux personnages de ses histoires, ils sont plein d’humanité. Fabrice Melquiot a été comédien avant de devenir écrivain. Il a publié une quarantaine de pièces de théâtre, traduites en une quinzaine de langues, travaillé avec divers metteurs en scène comme Emmanuel Demarcy-Mota, Paul Desveaux… Il est également le directeur du théâtre Am Stram Gram, centre international de la création pour l’enfance et la jeunesse, à Genève en Suisse. Fabrice Melquiot  est présent au festival Dédale(s) qui se tient jusqu’au 21 avril au Tangram à Evreux. Il mène un projet singulier avec les élèves du lycée Senghor autour de sa prochaine création, Maëlstrom. Entretien avec l’auteur de théâtre.

 

D’où vient votre désir d’écrire pour le théâtre ?

J’ai découvert le théâtre par le plateau. J’ai travaillé comme acteur pendant une dizaine d’années. Mais l’écriture, c’est depuis l’enfance. Faire des phrases. Noircir des pages. Ce geste si simple. Ça m’a tenu depuis toujours. Ça m’a aidé à comprendre et accepter beaucoup de choses. Parce que c’est à la fois un lieu d’exploration et un outil de communication. Ça a toujours été au centre. Le désir de communiquer, quand communiquer n’est pas donné. Ce lien à l’autre, à travers les mots. L’écriture, c’est toujours l’histoire de quelqu’un qui attend quelqu’un d’autre (mais peut éventuellement prétendre qu’il n’a besoin de personne). Au théâtre, on attend toujours que quelqu’un vienne. On l’espère. En écrivant pour le théâtre, on offre un lieu de rencontre ou de retrouvailles. Aux artistes, aux spectateurs, aux fantômes. On dessine une assemblée. On dit : vous êtes là, pour un temps. Profitez-en pour vous diviser. On réunit, en attendant qu’apparaissent les dissensions. Donc le débat.

Pourquoi votre désir de jouer s’est éteint ?

Parce que l’écriture, précisément en tant qu’espace de jeu, m’a semblé plus vaste, plus évident, plus libre. Je n’étais plus digne d’être en coulisses à côté de mes camarades. Le plateau réclame qu’on n’ait la tête qu’à ça. Moi, je voulais écrire. Devenir écrivain pour le théâtre. Pouvoir répondre à qui me demanderait mon métier : j’écris pour le théâtre. En ignorant ce que ça signifiait vraiment, avec un petit sourire vaguement romantique et assez stupide.

Le passage à l’écriture a-t-il été évident ou difficile ?

J’avais déjà publié deux pièces à l’École des Loisirs, sous le regard de Brigitte Smadja, qui avait déjà été décisif. Et puis après Peine d’amour perdue au Théâtre de la Ville, sous la direction d’Emmanuel Demarcy-Mota, j’ai dit : j’arrête. C’était facile et difficile. Facile, parce que je sentais que je n’avais pas d’autre choix. Difficile, parce que je laissais des amis. J’ai quitté mon appartement. J’ai quitté Paris. J’ai voyagé. Pendant un peu plus de trois ans, j’ai habité dans des pensions ou chez des amis, au Sénégal, au Chili, en Argentine, en Italie. C’était des voyages entièrement orientés vers la lecture et l’écriture. Habités par le sentiment que je devais apprendre un nouveau métier. Pendant ces années où l’écriture était devenue la chambre, j’ai écrit une douzaine de pièces. Je passais mes journées à ça, et puis marcher, lire, regarder, écouter. Un jour, à l’occasion d’un retour en France, j’ai envoyé L’Inattendu à L’Arche. Deux semaines plus tard, Katharina von Bismarck m’annonçait que la pièce avait retenu l’attention de la maison. J’ai rencontré Katharina, Rudolf Rach, Amandine Bergé, toute l’équipe. Ils m’ont demandé de lire d’autres textes. Et en quelques mois, ils ont publié cinq ou six pièces. France Culture a également été un interlocuteur très précieux, et c’est toujours le cas. A la radio, j’ai connu de grandes joies.

Est-ce que écrire est un travail laborieux ?

Pour moi, écrire c’est d’abord aller dans le sens de la joie. C’est un état de concentration synonyme de désir et de liberté. Laborieux, jamais. Quand ça devient laborieux, je fais autre chose, et en faisant autre chose, je comprends que je continue d’écrire.

Est-ce qu’il est indispensable d’avoir en tête l’espace, les corps lorsque l’on écrit pour le théâtre ?

Plusieurs espaces. Plusieurs corps et états de corps. Tout est composition et composition instable. Il faut maintenir une sorte de flou dans les images qui naissent. Elles naissent, s’estompent, reviennent transformées, disparaissent. Parce que j’écris peu pour mettre en scène. Quand je sais qu’un.e autre va venir écrire à mes côtés, avec ses outils  – je parle du.de la metteur.e en scène – alors j’entretiens le flou, je laisse du jeu. Très peu d’indications scéniques, peu d’ingérence. Le texte de théâtre évoque et invite, il a sa courtoisie, il ne donne pas d’ordre. Les didascalies actives ou instrumentales ont été réduites au strict minimum ou ont disparu, tant mieux. Et puis de toute façon, le discours de l’auteur, les metteur.e.s en scène l’ignorent volontiers.

Quel lien faites-vous entre théâtre et musique ?

Au théâtre, tout est musique et agencement de musiques. Je crois que j’écris comme on compose et j’écris sans doute parce que je n’ai jamais suivi de formation musicale, parce qu’un instrument de musique demeure pour moi un objet de fascination absolue, quel qu’il soit. Enfin, sauf quand c’est moi qui essaie d’en jouer.

Vous êtes fidèles à des metteurs en scène, notamment Paul Desveaux. Pourquoi ?

Je suis fidèle à des metteur.e.s en scène qui me sont fidèles. Qui sont devenus des ami.e.s. Qui aiment les textes, qui ont confiance dans ma manière d’écouter le monde et de traduire cette écoute. Des metteur.e.s en scène qui n’instaurent pas avec l’auteur de rapport de pouvoir, qui ne craignent pas sa présence, qui savent que l’auteur, la plupart du temps, sait quelle est sa place, complémentaire de celle du.de la metteur.e en scène. L’écrivain.e dramaturge n’attend pas de révérence quand il apparaît, il porte rarement un dossard fluo sur lequel est écrit : l’auteur.trice. Je travaille avec des metteur.e.s en scène qui ont compris qu’ensemble, on pouvait écrire dans la joie, chacun avec ses outils et son propre rapport au mystère.

Comment écrire pour les plus jeunes ?

En écrivant depuis l’enfance ou depuis la jeunesse. En opérant un double-mouvement qui consiste à se retourner sur soi tout en regardant devant soi. Ecrire pour les plus jeunes, c’est consentir un torticolis. Ce n’est pas écrire pour. C’est sonder des zones reculées de soi, et sonder les quelques années à venir. Parfois, réclamer de l’aide à un enfant, à un adolescent. Ce qui revient à écrire depuis. Depuis cet enfant-là, cet adolescent. Enfance pour enfance, jeunesse pour jeunesse. Parce que « les jeunes », je ne sais toujours pas qui c’est.

Pourquoi écrire pour le théâtre aujourd’hui ?

Aujourd’hui non plus, je ne sais pas ce que c’est. On est collés au présent comme l’usager du métro de Pékin à la vitre de sa rame. Demain n’existe plus que dans les films de super-héros et les fantasmes d’Elon Musk. Ecrire nous impose de décoller notre visage de la vitre, de considérer le réel autrement, d’imaginer des portes de sortie. Il s’agit peut-être d’écrire aujourd’hui pour quitter aujourd’hui. Perros disait : la vie, c’est par moments. Pourquoi ? Comment ?

 

  • Traversée n°2 de Dédale(s) avec Fabrice Melquiot, Pascale Daniel-Lacombe, vendredi 20 avril à 17 heures au Cadran à Evreux. Réservation au 02 32 29 63 32 ou sur www.letangram.com