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Gilles Vervisch : « L’effort et le travail reviennent dans les discours pour justifier la position des privilégiés »

Gilles Vervisch est rouennais d’origine. Il le dit dans le livre quand il raconte sa vie… Enfin, plutôt sa « fausse vie », histoire d’illustrer son propos sur Les Mirages du mérite(Le Passeur éditeur).  Et histoire de détendre l’atmosphère, aussi car l’agrégé de philo ne manque pas de malice. Le titre de son dernier ouvrage renvoie lui-même vers quelques titres de films français de série B ; tel Comment réussir quand on est con et pleurnichard ? (Michel Audiard – 1974 – avec Marielle, Carmet, Rochefort…). Or, apprendre en s’amusant, c’est, pour aller vite, une contrainte que Gilles Vervisch s’impose. Sans dénaturer le fonds de son propos. Entretien avant sa venue mardi 29 janvier à la librairie L’Armitière à Rouen

On parle beaucoup du mérite actuellement. Une notion que vous teniez à tempérer…

En fait, c’est une valeur qui a des vertus quand on éduque ses enfants, par exemple. Dans la famille, à l’école, dans une petite entreprise, ça a du sens mais pas à l’échelle de la société. Certes, cela a pu être utile pour sortir de l’Ancien régime mais aujourd’hui, je crois que l’effort et le travail reviennent dans les discours pour justifier la position des privilégiés. Si on est pauvre, c’est qu’on l’a « mérité »…

Parmi les nombreux exemples que vous prenez dans votre livre, il y a le cas de Léa Seydoux, une actrice qui met volontiers en avant son mérite, précisément…

Elle dit que personne ne lui a rien appris. Je ne conteste pas qu’elle ait du talent mais quand on a dans sa famille Jérôme et Nicolas Seydoux (respectivement président de Pathé et président de Gaumont. Ndlr), on ne prend pas tout à fait le même départ que les autres comédiens autodidactes… Mais chacun peut se faire des illusions sur ce qu’il a fait. Encore une fois, c’est dérangeant quand cela devient une politique. Surtout quand c’est pour dire qu’il ne faut rien changer.

Il y a finalement beaucoup de facteurs qui interviennent pour expliquer des situations…

Si Mozart était né dans une roulotte, il n’aurait pas fait la même carrière. Et puis, si un joueur de foot est bon, le club ne va pas s’occuper de savoir s’il l’a « mérité ». Il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres, non, disent les stoïciens. Il n’y a pas seulement la volonté et la persévérance. Pour une véritable égalité des chances, il faudrait, comme le suggère Platon, que l’on arrache les enfants à leurs familles pour les éduquer… Cela étant dit, je ne veux pas dire qu’il faut se contenter de la fatalité et qu’on ne pourra jamais changer les choses…

Il y a beaucoup de références à des sujets qui pourraient paraître peu en phase avec la philo (Iron man, Harry Potter, etc.) dans votre livre. Est-ce une sorte de méthode de travail ?

J’ai décidé de rester dans la pop-philo ; comme dans Star Wars : la philo contre-attaque (2015). J’essaie d’aller assez loin mais en ouvrant des portes proches. Il ne s’agit pas de vulgariser, ni de caricaturer ; juste de prendre le lecteur par la main. Je me force à me dire : comment faire pour rendre la lecture plus fluide et divertissante ? C’est vraiment le plus difficile. Pour les références philosophiques, ce n’est pas compliqué : je reste dans le classique. Mais avant tout, c’est le sujet qui me tenait à cœur.

Il y a d’ailleurs un autre sujet que vous abordez brièvement : celui des coaches et des vendeurs de méthode de développement personnel…

Le sujet mériterait d’être développé ! Ça parle aussi de « qu’est-ce que la réussite ? » mais c’est avant tout un moyen de se remplir les poches pour ceux qui proposent ces solutions. D’ailleurs, dans « développement personnel », il y a « personnel ». L’idée du « chacun dans son coin », une « petite » vision du bonheur, un modèle de bonheur égoïste. Van Gogh n’aurait rien fait s’il avait suivi les conseils de l’happycratie. Oui, ça ouvre sur un autre livre…

Propos recueillis par Hervé Debruyne

Infos pratiques

  • Mardi 29 janvier à 18 heures à la librairie L’Armitière à Rouen.
  • Entrée libre