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Guillaume Clayssen : « J’ai eu un rapport physique avec cette histoire de Conrad »

Un air marin souffle au cirque-théâtre à Elbeuf. La compagnie Les Attentifs raconte la traversée vers l’Orient de Marlow sur un vieux paquebot, La Judée. Dans Jeunesse, Joseph Conrad fait le récit de ce tout jeune marin, devenu un vieux loup de mer. Il se remémore ce voyage ponctué de terribles mésaventures avec une étonnante passion et un fort sentiment d’invincibilité. Guillaume Clayssen mêle théâtre et cirque, réel et onirisme dans cette création qui se joue vendredi 7 juin au cirque-théâtre à Elbeuf. Entretien avec le metteur en scène.

Qu’avez-vous ressenti à la lecture de Jeunesse de Joseph Conrad ?

La lecture de Jeunesse m’a transporté. Le récit de Conrad est un voyage. J’ai fait une lecture-voyage. J’ai particulièrement éprouvé une sorte d’essoufflement, de rythme cardiaque. J’ai eu un rapport physique avec cette histoire de Conrad. Cet indice corporel m’a inspiré un projet d’adaptation où se croiseraient le théâtre et le cirque.

Qui est véritablement le capitaine Marlow ?

C’est le double fictionnel de Joseph Conrad. Dans le récit, il est un marin à la retraite, un ancien de la marine marchande qui n’a plus la force et l’envie d’aller sur les mers. Cet homme raconte son premier voyage vers l’Orient. Il est sous-officier et exalté par ce voyage, notamment par une destination, Bangkok qu’il considère comme une terre sacrée. Il est sur un bateau vétuste en présence d’un capitaine, très vieux, alors que lui est très jeune. Pendant le voyage, le bateau va prend feu, l’eau… C’est le radeau de la Méduse. Cette nouvelle est une allégorie de la jeunesse. Cette jeunesse qui est une manière de vivre et va protéger le jeune Marlow. Au lieu de vivre les catastrophes, il va savourer pleinement tous ces moments. Pour lui, les avaries sont autant d’occasions d’éprouver la vie. On a du mal à comprendre cette manière de vivre, ce rapport au corps. Conrad interroge cette illusion romanesque au cœur de la jeunesse.

Pourquoi avez-vous marié théâtre et cirque ?

J’ai un goût certain pour le cirque, pour le cirque contemporain. Moi qui viens du théâtre j’aime me confronter à de nouvelles écritures. Aujourd’hui, le renouvellement des formes passent par le cirque contemporain. Jeunesse se déroule dans le monde de la marine. J’y ai trouvé des analogies dans les pratiques circassiennes. Les acrobates sont capables de mettre leur corps sens dessus dessous, prennent des risques, restent prudents, se mettent en danger. J’avais envie que le spectateur éprouve ce danger physique.

Votre objectif a été de faire ressentir sur scène les mêmes sentiments que ceux éprouvés pendant votre lecture.

Je voulais que le spectateur soit immergé, que le groupe d’artistes soit embarqué. J’ai souhaité que les créateurs de la lumière et du son soient aussi sur scène. Ils sont sur le plateau comme l’équipage d’un bateau est sur le pont. C’est une fabrication à vue. Ils sont tous sur un espace réduit dans un espace infini. Comme sur un bateau où chacun a sa tâche et reste solidaire.

Les arts se croisent. Est-ce que le comédien est un peu circassien et le circassien, un peu comédien ?

Chacun a en effet sa spécialité. Le comédien Frédéric Gustaedt a fait beaucoup de sport et garde encore ce physique. Je lui ai demandé de faire des portées avec les deux acrobates, de monter sur l’agrès à 2,5 mètres de hauteur. Il le fait avec beaucoup de volonté. Il a donc fait un pas vers le cirque et les deux circassiens ont fait aussi un pas vers le théâtre. Ils ont été inspirés par le texte pour créer leur mouvement. Ils jouent et sont devenus des acteurs. Tout cela a permis un échange.

Voit-on un bateau sur scène ?

Non, je n’ai pas voulu être illustratif. Montrer un bateau aurait aplati l’imaginaire du spectateur. J’ai préféré retrouver l’esprit marin à travers des actions physiques. La scénographie permet de voir l’ossature d’un bateau. On a un agrès avec une verticalité et une mobilité qui permet aux acrobates de reproduire ce qui se passe sur un bateau.

Quelle part de réel et d’imaginaire gardez-vous de la nouvelle de Conrad ?

J’ai voulu quelque chose d’onirique, d’expressionniste et de réel. Cela correspond en effet à l’écriture de Conrad. On sent l’expérience du marin. Conrad s’est appuyé sur des souvenirs concrets, forts et tout cela est passé par le filtre de l’imaginaire. J’ai essayé d’entrer dans ce sillon de l’écriture. J’ai voulu des actions concrètes avec le cirque. Les images produites sur scène sont au-dessus de cette réalité décrite. Il y a un mélange de réel et d’onirisme.

Infos pratiques

  • Vendredi 7 juin à 20 heures au cirque-théâtre à Elbeuf.
  • Spectacle tout public à partir de 13 ans
  • Tarifs : 17 €, 13 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Réservation au 02 32 13 10 50 ou sur www.cirquetheatre-elbeuf.com