/

Jean Sclavis : « Scapin est un manipulateur du vide »

photo F. Jean



Avec Jean Sclavis, Les Fourberies de Scapin deviennent une véritable performance. Le comédien est seul sur scène, joue les principaux personnages et manipule huit grandes marionnettes. La pièce de Molière est une farce qui se déroule à Naples. Deux pères, Argente et Géronte, ont envisagé des projets de mariage pour leurs fils. Or, Octave et Léandre en ont décidé autrement. Le premier s’est marié avec Hyacinthe pendant l’absence de son père et le second est tombé amoureux de la belle Zerbinette. Scapin, le valet si malin que joue Jean Sclavis, va tenter de réconcilier les familles tout en prenant parti pour la jeunesse. Créée en 2006, la pièce, Les Fourberies de Scapin, se joue vendredi 11 janvier au Rive gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray. Entretien avec le comédien.

Vous jouez cette pièce depuis 12 ans. Comment avez-vous fait évoluer le personnage de Scapin ?

Scapin évolue avec mon âge. Avec lui, il y a un vieux compagnonnage. J’ai commencé à jouer cette pièce de Molière lorsque j’étais élève au conservatoire d’art dramatique. J’ai présenté la scène du sac à ma sortie. En tant que comédien, j’ai été ensuite amené à jouer plusieurs rôles de cette pièce. Souvent, j’ai eu un emploi de SOS comédien pour Les Fourberies de Scapin. J’ai fait des remplacements de dernière minute. J’ai alors commencé à connaître plusieurs personnages. Quand Émilie Valantin m’a proposé de jouer en solo, j’ai pensé à la pièce de Molière. J’évolue avec elle depuis mes débuts et je la nourris de mon expérience. Pour cette adaptation, le spectacle évolue peu parce que tout doit être très précis. Avec les marionnettes, je n’ai pas trop de latitude.

Est-ce que Scapin n’est qu’un manipulateur ?

En tout cas, il règle ses comptes. On peut se demander : est-ce lui qui manipule ou est-il manipulé à son insu ? Néanmoins, il reste un fourbe. D’ailleurs, c’est même inscrit sur son dos. C’est un clin d’œil à une réalité. Il faut se souvenir que Scapin est un homme des galères. Il sera marqué aux fers rouges pendant toute sa vie.

Il est aussi marqué par une profonde solitude.

Il est finalement seul parce qu’il est lâché par tout le monde. Bien qu’il sauve du marasme les jeunes maîtres, il est abandonné. Il les a manipulés mais il n’a fait que repousser les échéances. Les pères destinaient à leur fils les fiancées qu’ils ont choisies. Sans l’intervention de Scapin, peut-être que tout se serait déroulé de cette manière. En fait, Scapin est un manipulateur du vide.

Est-ce que vous aimez cependant ce personnage fourbe ?

Oui, je l’aime bien. Il m’a déjà permis de vivre. Je l’ai joué environ 360 fois. J’ai pas mal voyagé avec lui. Scapin reste un personnage jouissif, comme tous les valets de Molière. Il a un ressort comique extraordinaire. Les gens pensent être libres alors que Scapin les amène dans un piège. Il est la caméra cachée et le public est complice de cette farce.

Comment les marionnettes sont-elles devenues des partenaires de jeu ?

Ce sont en effet des partenaires qui m’aident à jouer. Ce sont des partenaires tout en passant d’un personnage à un autre. Tout cela reste un peu schizophrénique. Je suis Scapin qui se confronte à d’autres personnages que je joue aussi.

Est-ce que tous les gestes sont inscrits en vous aujourd’hui ?

Oui, tous les gestes sont en moi, dans mon disque dur. Cela n’empêche pas les accidents. Je manipule huit marionnettes, accrochées à un levier. Il arrive encore des accidents techniques qu’il faut faire passer comme un jeu. Il faut donc être sur le qui-vive tout le temps. Ce n’est pas très fatigant parce que les marionnettes sont très bien conçues. C’est une pièce qui reste tout de même très physique. Scapin se donne beaucoup et il faut y aller à 100 %. Il ne faut pas oublier que la scène, le public décuplent les énergies.

Qu’est-ce qui vous a guidé pour écrire l’adaptation de la pièce de Molière ?

Je me suis calé sur un écrit d’Henri Bergson, notamment sur le chapitre, Scapin, roi des manipulateurs. J’ai pris cette expression au pied de la lettre. Elle a été mon fil conducteur. Par ailleurs, Molière raconte son histoire à Naples, dans un port, dans un espace de déchargement. Nous avons alors imaginé des objets pour accrocher les marionnettes comme on en trouve dans des ports. En fait, tout est allé très vite avec Émilie Valantin. Ce fut presque une évidence.

Infos pratiques

  • Vendredi 11 janvier à 20h30 au Rive gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray.
  • Spectacle tout public à partir de 11 ans
  • Tarifs : de 20 à 10 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Réservation au 02 32 91 94 94.