/

Jérôme Thomas au Rive gauche : « Il y a vingt ans, les jongleurs manquaient d’oxygène »

Hic est une des œuvres emblématiques de Jérôme Thomas. 22 ans plus tard, celui qui a su renouveler le jonglage pour lui donner une couleur poétique, recrée cette pièce avec quatre jongleuses, des balles, des tiges en kevlar et des élastiques. Interprété vendredi 13 janvier au Rive gauche à Saint-Etienne-du-Rouvray dans le cadre du festival Spring, Magnétic est une expérience magique et hypnotique en trois tableaux pour créer un univers onirique. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a amené à revisiter une de vos créations ?

C’est un concours de circonstances. Il y a tout d’abord eu une commande de l’IRCAM (institut de recherche et coordination acoustique/musique, ndlr) dans le cadre d’un travail sur le rapport entre image et son. Il y a aussi la rencontre avec Raphaël Navarro (de la compagnie rouennaise 14:20, ndlr), une personnalité de la magie nouvelle qui vient du jonglage et qui expliquait avoir été influencé par le spectacle Hic Hoc. Cela m’a donné l’aide de reprendre la première partie de la pièce, Hic, pour travailler sur la magie nouvelle.

Que signifie pour vous une reprise de répertoire ?

C’est intéressant d’un point de vue artistique. Ce n’est pas vraiment une reprise, plutôt une adaptation. Je revisite la pièce et Hic devient Magnétic. Ce travail rappelle aussi une mémoire. Cela permet de dire au monde qu’il va trop vite, qu’il est nécessaire de prendre un temps, de faire un arrêt sur image pour porter un regard critique sur une société en perpétuel mouvement. C’est une forme de résistance.

Quel regard avez-vous porté sur Hic ?

J’ai eu un regard d’archéologue. Je suis allé revoir les vieilles vidéos. J’ai ensuite commencé à travailler sur Magnétic. La première démarche a été de transformer le quatuor d’hommes de départ en quatuor de femmes. J’ai voulu être dans les clous de cette société en mouvement. Les femmes restent encore minoritaires dans le jonglage. J’avais envie de voir de nouvelles personnalités. Pour cette création, outre le niveau d’interprétation, j’ai été sensible au mouvement, à la biomécanique, à la danse. Il y a 20 ans, on était moins pointu dans ce domaine. Durant ces années, j’ai progressé sur ma perception de l’écriture chorégraphique.

 

 

Qu’est-ce qui était important de dire dans Magnétic que vous n’aviez pas pu évoquer dans Hic ?

En fait, on crée un spectacle avec une idée novatrice que l’on exploite toujours de manière superficielle. C’est déjà énorme. Et on ne peut pas imaginer quelque chose de plus approfondi. On crée une forme et on essaie de la faire exister. Quand on retravaille sur une création, on crée avec la même énergie mais avec une nouvelle perception du monde, du temps et avec de nouveaux outils. En vingt ans, les changements ont été radicaux. On est passé de la chirurgie à la micro-chirurgie. Dans le jonglage, c’est la même chose.

Vous êtes considéré comme l’artiste qui a renouvelé le jonglage. Qu’est-ce qui a guidé votre réflexion ?

Il y a vingt ans, on défrichait. On sortait tout juste de la performance. A cette période, les jongleurs manquaient d’oxygène. Ils devaient prouver nos compétences, envoyer la gomme mais on ne pouvait pas respirer. Le jonglage se résumait à des numéros courts. Au lieu de lancer la balle en l’air et de faire quatre tours sur moi-même, j’ai posé la balle et j’ai essayé de faire exister ce moment. C’est la création du non-jonglage. C’est une réflexion progressive qui a été entamée après un choc. Lors d’une tournée, nous présentions un spectacle avec quatre jongleurs. En allant manger, je me suis arrêté devant un jongleur de rue. Son niveau n’était pas surprenant. Je me suis demandé pourquoi j’étais le seul à m’être arrêté devant lui. J’ai beaucoup réfléchi à cette interrogation. En fait, j’étais à un autre endroit du spectacle

Quelles sont les qualités pour être jongleur ?

On peut naître jongleur dans un jardin comme un musicien dans une cave. C’est aussi simple que ça. Il faut avoir de la patience et une certaine résistance cardiaque. Un jongleur de scène n’est pas une personne zen. Il est même plutôt nerveux mais il faut parvenir à maîtriser cette nervosité.

  • Vendredi 13 avril à 20h30 au Rive gauche à Saint-Etienne-du-Rouvray. Tarifs : de 15 à 8 €. Pour les étudiants : carte Culture. Réservation au 02 32 91 94 94.
  • Spectacle tout public à partir de 7 ans