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Julien Bondaz : « Le perroquet est un symbole de la bourgeoisie »

Entretien avec Julien Bondaz, maître de conférences en anthropologie à l’Université de Lyon 2, qui s’est interrogé sur le succès de Loulou, un perroquet empaillé exposé au musée Flaubert et d’histoire de la médecine à Rouen. Celui-ci aurait même inspiré l’écrivain rouennais lors de l’écriture d’Un Cœur simple. Lors de Terres de Paroles, dimanche 3 octobre à l’hôtel Flaubert, Julien Bondaz évoque Le Sacre du perroquet.

Pourquoi voulez-vous un sacre pour un perroquet ?

Je parle de « sacre du perroquet » parce que, suite à la publication du Perroquet de Flaubert de Julian Barnes, les visiteuses et visiteurs du musée Flaubert et d’histoire de la médecine ont commencé à s’intéresser prioritairement au perroquet naturalisé qui a inspiré Loulou, plus parfois qu’à Flaubert lui-même, comme si Loulou avait détrôné son créateur dans l’expérience de la visite au musée.

-Qu’est-ce qui fait que Loulou tient une place si singulière dans le musée ?

La place de Loulou est singulière parce qu’il est à la fois un perroquet réel, concret, et un personnage de fiction. La relation des visiteurs avec le spécimen exposé paraît ainsi rejouer la relation que Félicité, dans Un cœur simple, entretient avec Loulou.

Pourquoi selon vous Flaubert est allé jusqu’à le personnifier ?

Flaubert a personnifié Loulou parce que cela permettait de pointer, d’extérioriser une partie des émotions de Félicité, de sa vie sentimentale même. Le perroquet fournit aussi une porte d’entrée à l’exotisme, avec le rappel des voyages maritimes du neveu de Félicité. Mais le perroquet est aussi un oiseau parleur, susceptible d’interroger le statut de la parole et plus largement de la littérature. Loulou est donc riche de plusieurs interprétations. Il condense des significations ou des valeurs diverses, ce qui le rend d’autant plus important.

En quoi un perroquet peut être inspirant ?

A cause de sa capacité de parole, un perroquet est toujours intrigant, même si toutes les espèces de perroquet ne parlent pas. Il propose d’emblée une énigme, en apparaissant comme un animal un peu hybride, en partie humain. Sa mise en exposition dans un musée ajoute une autre forme d’hybridité ou d’ambivalence. En tant que spécimen naturalisé, il brouille les distinctions entre la vie et la mort, entre le statut d’animal et celui d’objet. Et le rapport à la littérature lui confère en outre une dimension fictive qui fonctionne comme un excellent embrayeur pour l’imagination des visiteurs et visiteuses.

Le fait qu’il puisse dire des mots le rend-il davantage mystérieux ? 

Il y a effectivement une part de mystère dans cette exception zoologique. En tant qu’oiseau, le perroquet figure en outre une forme de liberté, de rapport au ciel, donc, dans l’imaginaire chrétien, à la spiritualité, d’où l’interchangeabilité, à la fin d’Un cœur simple, entre le perroquet de Félicité et la colombe du Saint-Esprit.

Peut-il prendre la place d’un héros de la littérature ?

On peut se demander si Loulou ne prend pas, en quelque sorte, la place de Félicité dans Un cœur simple. En réalité, c’est leur relation qui est centrale : ils ne peuvent exister qu’ensemble, en tant que couple. C’est davantage chez Julian Barnes que Loulou devient pleinement un héros, mais un héros insaisissable parce que multiplié. Il y a une multitude de perroquets chez Barnes, dont deux se disputent le même statut. C’est donc à la fois l’avènement de Loulou comme héros et la mise en crise de l’idée même de héros, ce qui correspond parfaitement à ce que Flaubert a apporté à la littérature.

Est-il un symbole de la bourgeoisie ?

Le perroquet est aussi, dans Un cœur simple, un symbole de la bourgeoisie. Si les perroquets étaient plutôt attachés à l’aristocratie jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le développement des transports maritimes au siècle suivant ont favorisé leur présence en Europe et contribué à leur relative démocratisation. Mais pour Félicité, Loulou n’est pas un élément rattaché à la bourgeoisie. C’est davantage comme animal familier et comme évocation de l’exotisme qu’il trouve place dans son quotidien de femme modeste, à la vie simple et soumise. Il apporte une part d’évasion, en imagination, de son ancrage local et social.

Infos pratiques

  • Dimanche 3 octobre à 15 heures à l’hôtel Gustave Flaubert, 33, rue du Vieux-Palais, à Rouen.
  • Durée : 1h10
  • Tarif au choix : à partir de 5 €
  • Réservation au 02 32 10 87 07 ou sur www.terresdeparoles.com