Michel Fau : « chaque personnage est un monstre »

Est-il possible d’acheter l’amour ? Non, selon Molière qui le démontre dans George Dandin ou le mari confondu. Dans cette comédie-ballet, créée en 1668 à Versailles, George Dandin, un riche paysan, veut non seulement un titre de noblesse mais aussi l’amour. Le voilà devenu George de la Dandinière et mari d’Angélique de Sotenville, fille d’un gentilhomme ruiné. Ce mariage arrangé lui vaudra une série d’humiliations. La belle et jeune femme qui n’a pas souhaité cette union se laisse courtiser. Ses beaux-parents le méprisent. Quand il veut démontrer le comportement léger de son épouse, Dandin se retrouve sous les moqueries. À la fin, c’est même lui qui devra présenter des excuses. Michel Fau revient à Molière. Il joue le rôle-titre et met en scène cette pièce, transposée dans un univers baroque. Entretien avec Michel Fau avant la représentation mardi 11 janvier au Tangram à Évreux.

Vous revenez à Molière après Tartuffe et Le Misanthrope. Pourquoi ?

Molière est un point de repère pour moi dans l’histoire du théâtre. Il est un auteur important qui s’est inspiré des auteurs d’avant lui et qui annonce le théâtre d’après lui. J’y reviens régulièrement. Cette fois, avec George Dandin, une comédie-ballet dont on retrouve la trame dans La Jalousie du Barbouillé, inspiré d’une farce du Moyen-Äge. L’écriture est très belle. Le format est différent avec ses trois actes. Molière parle de l’égoïsme, de la rivalité entre les hommes et les femmes, de la vanité, de l’arrivisme, de la décadence de cette bourgeoisie. C’est une grosse machine un peu compliquée à monter avec les acteurs, les musiciens, le décor, les costumes…

Vous tenez aussi le rôle de George Dandin.

C’est important pour moi. J’ai besoin d’être dans le projet. Après la création, j’aurais l’impression d’être sur un quai tout seul et de laisser partir le bateau. Là, nous pouvons nous dire des choses tous les soirs, nous questionner. Il ne faut pas oublier qu’avant, les metteurs en scène étaient aussi des acteurs. 

Est-ce, pour vous, une farce ou une tragédie ?

C’est une farce tragique. Dans les trois actes, il y a même quelque chose de cauchemardesque puisque Dandin vit trois fois la même chose. Elle est extrêmement méchante. Molière se moque de tout le monde, quel que soit le statut social. Il y a le valet primitif, le paysan parvenu voulant intégrer la bourgeoisie, l’aristocratie de province ruinée… Ils sont tous pathétiques. Il n’y a pas grand monde à récupérer dans cette histoire.

George Dandin est-il seulement un homme ambitieux ?

Il est victime de sa propre ambition. Dès le début, il dit qu’il va faire une bêtise mais il est attiré par le pouvoir. Il va se retrouver dans une machine infernale et broyante et vivre des moments très violents. Il a cru pouvoir s’inventer un idéal uniquement avec de l’argent. Or, ce n’est pas comme cela que ça se passe.

Comment avez-vous appréhendé ce personnage tout de même ambigu ?

Il faut faire confiance à Molière qui cultive les contrastes. Dandin est un rôle magnifique, grotesque et complètement tragique. C’est un grand naïf, totalement désespéré et ridicule. Il est même parfois insupportable. Angélique n’est pas une fille pure non plus. Elle peut être menteuse et un peu garce.

Elle est tout de même une victime.

Oui, elle est victime de ce mariage arrangé. Elle le dit d’ailleurs à Dandin : ce sont mes parents qui sont mariés avec vous. Elle va chercher sa liberté.

Est-ce qu’il y a un peu d’amour dans cette pièce ?

Il n’y en a pas beaucoup. Dandin pense qu’il donne de l’amour. Il y en a certes pendant les intermèdes où deux couples ont une vision idéalisée de l’homme et de la femme. C’est très beau et rutilant. Mais est-ce vraiment de l’amour ?

Pour raconter cette histoire, vous avez souhaité un univers très marqué. Pourquoi ?

Cette pièce est surréaliste, comme un labyrinthe. Chaque personnage est un monstre que vous croisez dans vos pires cauchemars. Je n’ai pas voulu de reconstitution historique mais un théâtre de verdure avec beaucoup de végétation. Comme dans un cauchemar. J’aime quand il y a des images au théâtre, des symboles, des choses belles et oniriques.

Qu’apporte la musique de Lully à cette pièce ?

Les parties musicales sont très belles. Elles sont là pour encadrer, répondent à la pièce, mettent les choses en relief avant de les conclure. J’ai souhaité que les musiciens, dirigés par Gaëtan Jarry, soient sur scène. Ils apparaissent et disparaissent.

Infos pratiques

  • Mardi 11 janvier à 20 heures au Cadran à Évreux
  • Durée : 1h50
  • Tarifs : de 25 à 10 €. Pour les étudiants :  carte Culture
  • Réservation au 02 32 29 63 32 ou sur www.letangram.com
  • photo : Marcel Hartmann