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Norah Krief : « Je ne suis pas une militante mais une femme engagée »

Norah Krief est comédienne, chanteuse, surtout une artiste unique par sa présence, sa fantaisie. Comédienne, elle a joué Shakespeare, Tchekhov, Marivaux, Molière, Beaumarchais sous la direction d’Éric Lacascade, Jean-François Sivadier… Chanteuse, elle s’est emparée des Sonnets de Shakespeare, demande à François Morel de lui écrire La Tête ailleurs. Cette fois, Norah Krief affronte d’anciens démons en interprétant Al Atlal, (Les Ruines), le poème d’Ibrahim Nagi, chanté par Oum Kalsoum. C’est mardi 29 et mercredi 30 janvier au CDN de Normandie Rouen. Elle a également puisé dans le répertoire des chants révolutionnaires pour cette Revue rouge, présentée jeudi 31 janvier au théâtre du Grand Forum à Louviers. Entretien avec Norah Krief.

Existe-t-il un lien entre les deux concerts Al Atlal et Revue rouge ?

Ce sont des chansons. Si on considère le texte, on peut dire qu’il y a un lien. Dans Revue rouge, ce sont des chants révolutionnaires qui ont traversé les époques. Al Atlal est le chant d’une femme révolutionnaire à l’époque. Elle invitait les autres femmes à enlever le voile. Le texte au théâtre me donne aussi des impulsions à mon métier parallèle. Un parcours que je poursuis avec des metteurs en scène. Wajdi Mouawad m’a demandé de chanter la première strophe de Al Atlal en ouverture de Phèdre. J’ai été envahie par ce poème et cela a rebondi. Je trouve cela très agréable.

Pour ces deux concerts, vous avez travaillé avec Éric Lacascade et David Lescot, deux metteurs en scène.

J’ai rassemblé ces personnes parce que je voulais qu’il se passe quelque chose sur scène. Je souhaitais aussi que ces concerts soient rock’n roll.

Est-ce que ces deux concerts symbolisent un engagement ?

Ce n’est pas un engagement politique particulier mais un engagement de plateau, de partage. Je ne suis pas une militante mais une femme engagée.

Le répertoire des chants révolutionnaire est vaste. Comment avez-vous fait vos choix ?

Nous nous sommes retrouvés ensemble et avons sélectionné des chants que nous connaissions bien, qui ont été censurés et traversé les frontières. Ils racontent un temps plus ou moins long, ont des issues plus ou moins heureuses. Nous avons retenu aussi des textes qui n’ont pas toujours amené la démocratie mais ce sont des utopies. Durant le concert, je les remets dans leur contexte. Tout comme la vidéo.

Avec Al Atlal, l’ambiance est davantage intime.

Le concert s’articule autour du poème d’Ibrahim Nagi qu’a chanté Oum Kalsoum. Cette chanson a beaucoup marqué mes parents. Je les entendais régulièrement la siffloter. Mes parents venaient de Tunisie et s’étaient installés en banlieue parisienne. C’est l’histoire de l’exil, de la perte d’un pays. 

Quelle émotion avez-vous ressenti lorsque Wajdi Mouawad vous a demandé de chanter Al Atlal ?

Après sa demande, j’ai pensé que je n’arriverais pas à la chanter. J’ai alors réécouté chez moi Al Atlal. De nombreux souvenirs sont remontés à la surface. J’ai ressenti une dynamique incroyable d’aller vers ce répertoire. J’ai fait ce chemin qui m’a amené à mon histoire, à celle de mes parents, à celle des migrants. Ce fut comme un apaisement, une réconciliation avec la langue arabe.

Pourquoi ne vouliez-vous pas parler la langue arabe ?

À la maison, je ne voulais pas que l’on me parle en arabe. Je voulais que l’on me parle en français. Cela me choquait. Aujourd’hui, je trouve cette langue très belle, puissante. Son rythme est extraordinaire.

Avez-vous envie de l’apprendre ?

C’est très long. Cela me demanderait beaucoup de temps. Je ne pourrais pas m’y consacrer de manière régulière.

Quelle histoire voulez-vous raconter à travers Al Atlal ?

Je raconte l’histoire de ma famille. Ma mère revient au fil du chant. En l’interprétant, j’ai pu comprendre l’histoire de mes parents, la difficulté de s’intégrer. J’ai pu mettre des mots sur le rejet, sur cette situation, sur le silence qu’il y avait à la maison, sur ce que je pouvais percevoir. Il y a cependant de la joie dans ce chant. Oum Kalsoum était une femme très gaie. Elle racontait la perte, l’abandon avec humour. Je fais la même chose. Je suis dans le vivant de cette image, de cette sensation.

Infos pratiques

  • Mardi 29 et mercredi 30 janvier au théâtre de La Foudre à Petit-Quevilly. Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation du mercredi 30 janvier. Tarifs : 15 €, 10 €. Pour les étudiants : carte Culture. Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr
  • Jeudi 31 janvier à 20 heures au théâtre du Grand Forum à Louviers. Tarifs : de 10 à 4 €. Pour les étudiants :  carte Culture. Réservation au 02 32 29 63 32 ou sur www.letangram.com