Philippe Torreton : « Il faut être des voleurs de mots »

photo : Simon Gosselin

La Vie de Galilée est une immense fable philosophique et poétique. Le savant italien (1564-1642), qui a refusé les dogmes, confirme la thèse de Copernic : la Terre tourne autour du soleil. Et non l’inverse. Une affirmation qui va fâcher l’Église et le forcer à l’abjuration La metteuse en scène Claudia Stavisky reprend le texte de Bertolt Brecht et confie le rôle de Galilée à Philippe Torreton. Le comédien plonge à nouveau dans cette œuvre après avoir joué le Petit Moine sous la direction d’Antoine Vitez à la Comédie-Française. Entretien avec Philippe Torreton avant la représentation jeudi 1er octobre au Cadran à Évreux avec Le Tangram.

Vous avez joué le Petit Moine en 1992 dans la mise en scène d’Antoine Vitez. Quel souvenir avez-vous de ce spectacle ?

C’était une merveille. Antoine Vitez m’avait demandé d’assister à la dernière semaine de répétition en prévision d’un remplacement du Petit Moine. Roland Bertin tenait le rôle de Galilée. Marcel Bozonnet était le pape. Il y avait Martine Chevalier, Jean-Yves Dubois… Toute cette troupe était bien choisie. Je découvrais une pièce d’une intelligence formidable. Le contenu me passionnait. J’en avais parlé à mon frère ainé qui est un scientifique. Cette pièce est le chaînon manquant entre ce qu’il a choisi et ce que j’ai choisi. Après avoir vu la pièce récemment, il m’a dit : j’ai compris ce que tu m’avais dit à l’époque. C’est un théâtre grand, fort, traversé de thèmes historique et philosophique. J’étais trop content d’y participé. Quand Claudia Stavisky m’a proposé ce rôle, je n’ai pas réfléchi. D’autant qu’elle était très proche d’Antoine Vitez. Elle a été sous son aile. Nous avions cette référence commune. Ce spectacle est une façon de lui rendre hommage.

Qu’y a-t-il d’Antoine Vitez chez Claudia Stavisky ?

Il y a le souci de faire entendre un texte et de ne pas gâcher sa compréhension. Dans sa mise en scène, on entend tout. Comme Antoine Vitez, Claudia est obsédée par la valeur des textes qu’elle donne à voir. Leur mise en scène est un facteur de compréhension. Dans La Vie de Galilée, beaucoup de choses sont écrites. Brecht est un homme de théâtre et écrit ce qui doit être joué. On voit aussi cela avec Shakespeare que Brecht admirait, avec Molière.

« Galilée est un personnage entier »

La Vie de Galilée est un texte historique et philosophique. Est-il aussi, pour vous, politique ?

Oui, il en est un. Cela a des résonances sur ce que l’on peut lire et voir. Brecht était un artiste politique. Pour lui, le théâtre est fait pour accroître la conscience humaine. Il fait entendre les interrogations humaines. Galilée est un personnage entier. Il est tellement convaincu d’avoir raison que la raison l’emporte sur l’ignorance. Or il a oublié l’obscurantisme. À l’échelle de l’histoire, il a raison mais, à l’échelle de sa vie, il a tort.

Est-il un héros ou un anti-héros ?

Brecht dit que c’est compliqué de trancher. À la fin de sa vie, Galilée est affaibli. Il est en résidence surveillée. Il dit qu’il a eu peur de la douleur physique. On lui a montré les instruments. C’est l’étape à laquelle les prévenus se rétractent. Comment lui en vouloir ? Il a cependant dit qu’il avait eu tort d’avoir peur. Pour lui, personne ne l’aurait brûlé.

C’était un homme avec un énorme appétit de connaissance et de bonne chère.

C’est ce que lui fait dire Brecht. Il aimait en effet la bonne chère. Il dit d’ailleurs : c’est au cours d’un bon repas que j’ai le plus d’idées. C’était un homme d’appétit, de colère, d’exaltation.

Comment avez-vous abordé ce personnage complexe ?

Je ne raisonne pas en terme de personnage. Plus je joue, moins je raisonne. C’est l’écriture qui compte. Quand on trouve une trace de pas, on peut en déduire le poids, la taille de la personne. Rien qu’une empreinte fossilisée est une mine d’informations. L’écriture, c’est pareil. Quand quelqu’un dit qu’il aime le vin et que jouir est une prouesse, cette phrase ne peut pas être dite de manière nerveuse et sèche. Je crois beaucoup en cela. Ce que l’on dit vous définit. Quand on est trop dans l’approche comportementale, on peut passer à côté du texte. Avant j’étais comme cela, je pensais trop au physique. Mais ce sont des impasses. Ma timidité est protégée par l’argument. Le propos me donne de la force. Regardez Greta Thunberg, son propos est fort. Les grands discours des hommes politiques sont faits de ça. Nous sommes fascinés par les personnes qui se dépassent et tiennent des paroles fortes.

La pièce se déroule sur trente ans. Comment ces années laissent alors une marque sur votre corps ?

Le procès a duré un an. Il a vécu un an avec cette menace. Il y a eu aussi le choc de la rétractation. Galilée en ressort très fatigué. Je voulais que cela se voit. Ce sont juste des petites choses dans la façon de se mouvoir.

La langue de Brecht est très riche. Comment vous l’êtes-vous appropriée ?

Elle n’est pas simple. La traduction de Recoing est très belle. Elle fait autorité. Je me souviens de Roland Bertin en train de travailler son texte. Il faut le lire, le dire. Quand on y arrive, tout est fluide et on est porté.

Est-ce que vous mettez en miroir le savant qui est dans la vérité et le comédien qui joue avec le mensonge ?

Ce n’est pas du mensonge. Le théâtre, c’est une parole vraie. Même quand elle est tronquée. C’est un lieu de vérité. Je préfère parler d’appropriation, voire de vol. Il faut être des voleurs de mots.

« Le théâtre, ce n’est qu’un texte, un lieu et un public »

Faites-vous un autre parallèle entre la science et le théâtre qui sont des écoles de la liberté ?

C’est un parallèle que j’ai pu faire. Au théâtre, nous avons au départ une donnée qui est le texte. Il faut ensuite le transformer en une parole vivante. Peter Brooks disait cela : considérez que les mots de Shakespeare sont des relevés d’enregistrement de personnes qui ont vraiment existé. Il faut aussi laisser de la place au peut-être. On ne peut pas fermer tout. La meilleure façon, c’est d’être à fond dans le texte.

Est-ce facile de jouer aujourd’hui ?

Il y a des contraintes mais cela n’est pas grave. Nous avons repris à Perpignan où il y avait plus de 500 personnes. À la fin, nous avons senti qu’elles applaudissaient pour nous remercier d’être là. Il faut rassurer. Les théâtres sont des lieux vastes et tout est organisé de manière intelligente.

Quel est désormais l’avenir pour la culture ?

Je travaille dans le théâtre subventionné et je me sens protégé. Nous savons qu’il y aura moins d’argent à l’avenir. À nous d’avoir des réponses intelligentes. Le théâtre, ce n’est qu’un texte, un lieu et un public. Je pense à tous les artistes dans le secteur de la musique, aux techniciens. Il y a une crise très grave dans le théâtre privé. Il semblerait que l’État est prêt à lâcher des millions. Il faut continuer. Tout vaut mieux que l’arrêt total de l’activité.

Infos pratiques

  • Jeudi 1er octobre à 20 heures au Cadran à Évreux
  • Durée : 2h35
  • Spectacle en audio description
  • Tarifs : de 25 à 10 €. Pour les étudiants :  carte Culture
  • Réservation au 02 32 29 63 32 ou sur www.letangram.com
  • Photo : Simon Gosselin