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Pierre Lemarchand : « Nico n’était pas vraiment de son temps »

Tout commence le 1er juin 1974 au Rainbow Théâtre à Londres où Kevin Ayers joue son album, The Confessions of Dr Dream and other stories. Le label Island invite ses artistes qui ont un nouveau disque à sortir. Il y a John Cale, Brian Eno et Nico. Pierre Lemarchand raconte ce moment emblématique, révélateur de la personnalité de l’égérie du Velvet Underground. Dans son  livre, publié en septembre 2020, il revient avec beaucoup de sensibilité sur le quatrième album de Nico, The End… Si l’auteur normand avait récolté de nombreux témoignages pour analyser Fantaisie militaire de Bashung, son ouvrage précédent, il a cette fois-ci pris un autre angle pour éclairer cet album sombre. Avant de parcourir les titres, les uns après les autres, il emmène dans les méandres d’une personnalité mystérieuse. Entretien avec Pierre Lemarchand avant sa conférence jeudi 8 octobre au 106 à Rouen.

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire sur cet album, The End… de Nico ?

C’est un album qui me touche, que j’écoute depuis toujours. La musique me bouleverse. Ce disque a cette particularité qu’il vient parachever une trilogie. Nico rassemble là un geste artistique. C’est comme l’aboutissement d’une démarche. Il y a dedans la relation artistique avec John Cale, son histoire avec  Jim Morrison…

Nico a travaillé pratiquement seule sur The End… Comment avez-vous procédé avant l’écriture de ce livre ?

Peu de musiciens ont en effet contribué à l’élaboration de ce disque. Certains sont morts. Manzanera a peu de souvenirs. Ce fut tout d’abord un handicap qui a ensuite donné une direction esthétique. Nico n’était pas vraiment de son temps. Je suis alors allé piocher des références dans l’histoire, dans la peinture, dans la mythologie pour mettre plus de lumière sur sa vie. 

Quelle place a John Cale dans cet album ?

C’est très troublant. Il parle très peu de ce disque. Tous les deux sont européens et se rencontrent aux États-Unis. Ils mènent cette aventure tous les deux. Nico a en plus des idées d’arrangements.  Dans cet album, Brian Eno apporte sa folie et Manzanera, sa tendresse.

Après ce travail de recherche et d’écriture, pensez-vous avoir percé quelques mystères ?

Écrire sur quelqu’un, c’est une manière de le rencontrer, de partir en quête d’une vérité. Le travail a duré un an et, parfois, c’était un peu plombant avec Nico. C’était une personne impénétrable. Même ceux qui l’ont côtoyée sont restés à la surface. Je n’ai pas percé de mystères. J’ai l’impression d’avoir mieux compris sa musique. On retient de Nico l’image de la chanteuse du Velvet, son apparition dans La Dolce Vita, son histoire avec Alain Delon. En fait, elle a beaucoup été définie par des hommes. J’ai souhaité rétablir l’image de l’artiste.

Quand The End… est sorti, il a été très mal reçu. Pourquoi ?

Oui parce que sa musique était très différente. Elle est un peu aride, austère et très noire. Cet album parle de la mort. Par ailleurs, sa musique n’est pas rock. Elle n’utilise aucune grammaire rock. Il y a eu aussi une incompréhension autour de sa reprise de l’hymne national allemand qu’elle apprend quand elle est enfant. Chez elle, il n’y a pas de morale. On ne peut pas oublier le passé. Au contraire, il faut le regarder en face.

Vous soulignez dans le livre que l’écriture de Nico se fait d’un seul jet.

John Cale accompagne Nico dans la découverte de son propre langage. C’est Jim Morrison qui déclenche l’étincelle. L’écriture se fait en un seul jet parce que tout est écrit à l’intérieur d’elle-même. Elle roule les mots dans sa tête jusqu’à ce qu’ils se fixent correctement sur le papier.

Elle puise aussi en elle pour écrire.

À cette époque, on parle beaucoup du monde. Lou Reed parle de la rue. Nico plonge dans son propre monde.

Infos pratiques

  • Le livre : Nico The End…, Pierre Lemarchand, Editions Densité, 112 pages, 10,50 €
  • Conférence et lecture avec Frédéric Oberland, jeudi 8 octobre à 20 heures au 106 à Rouen. Entrée libre. Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com