/

« Le premier otage politique »

JordiSavallIl y a vingt ans, Jordi Savall composait la musique de Jeanne La Pucelle, un film de Jacques Rivette sorti en 1994 qui raconte la vie, les doutes et les souffrances de Jeanne d’Arc. Il a retravaillé cette partition pour la scène et pour raconter l’histoire de cette femme, de sa naissance jusqu’à sa mort. Mercredi 20 novembre, cette musique est interprétée pour la première fois à Rouen, à l’Opéra, dans le cadre d’Automne en Normandie.

 

Pourquoi aviez-vous répondu positivement à la proposition de Jacques Rivette ?

C’était un projet fascinant. Ce sujet m’intéresse beaucoup. Je suis fasciné par ces grands personnages mystérieux de l’histoire. C’était également un projet qui se trouvait à l’opposé de Tous Les Matins du monde d’Alain Corneau.

 

Jeanne d’Arc est, pour vous, un des grands personnages mystérieux.

Oui, elle fait partie de ces personnages qui réalisent des choses improbables. Son histoire est incroyable. Elle a à peine 18 ans, elle est une paysanne et part en lutte pour la France. Elle a également une réelle présence devant les inquisiteurs, ces gens qui essayent de la tromper. Face à eux, elle se tient avec dignité et intelligence. Il ne faut pas oublier qu’elle a été le premier otage politique de l’histoire. Elle est punie parce qu’elle est le symbole de la France. Curieusement, elle est à l’origine du chauvinisme anglais. C’est à ce moment-là que les Anglais prennent conscience de leur patrie. Ils ont tellement souffert de cette défaite qu’il leur fallait détruire ce symbole. De plus, il y a une force spirituelle dans cette histoire.

 

Pour composer, vous vous êtes immergé dans cette histoire.

Deux ans auparavant, j’ai lu les différents comptes rendus des interrogatoires pour m’imbiber de cette histoire, pour comprendre Jeanne. Je voulais avoir une image de Jeanne à travers ses propos et non à travers les propos des autres. Je voulais comprendre ce qu’elle expliquait, ce qu’elle vivait, ce qu’elle faisait.

 

Quelles ont été les difficultés lors de la composition de cette bande originale ?

A l’époque de Jeanne d’Arc, les compositeurs étaient au service des Bourguignons, donc au service des ennemis du roi de France. J’ai alors étudié les styles des musiques de l’époque pour composer certaines musiques et aussi pour trouver des musiques de compositeurs anonymes.

 

Comment avez-vous travaillé avec Jacques Rivette ?

Je suis allé plusieurs fois sur le tournage du film. J’ai bien sûr vu le film. Jacques est venu pendant l’enregistrement et nous avons travaillé ensemble sur des moments, sur des séquences très précises. C’était presque un travail sur commande, un travail à la carte qui est difficile et exigeant.

 

Plus tard, vous vous êtes replongé dans cette partition.

Cette musique était la bande son d’un film. En 2012, à l’occasion de la célébration du 600e anniversaire de sa naissance, je trouvais bien de me replonger dans ce projet, de remettre cette musique dans une histoire. J’ai réécrit une version, comme un récit qui évoque les moments les plus importants de sa vie.

 

Vous venez jouer pour la première fois cette musique à Rouen. C’est aussi symbolique.

C’est en effet un concert particulier. On raconte cette histoire dans le lieu où Jeanne d’Arc a terminé sa vie.

 

Les interprètes