Quand la manipulation dévaste l’intime

photo : Gauthier Typa

La compagnie de Laëtitia Botella, Les Nuits vertes, n’a pu créer Breaking The News d’Alexandra Badea le 2 novembre 2020 au théâtre des Bains-Douches au Havre avec Le Volcan. Le confinement a été imposé trois jours avant. Depuis, la metteuse en scène havraise contient sa colère, gère un nouvel agenda et reste impatiente de présenter ce texte, en lien fort avec l’actualité.

L’équipe était prête. Trois jours avant la première, le 2 novembre au théâtre des Bains-Douches au Havre, il a pourtant fallu renoncer à la création de Breaking The News, la nouvelle pièce de théâtre des Nuits Vertes. « Ce fut très violent. Cela fait deux ans que nous travaillons sur ce texte avec les lectures à la table, la recherche plastique, la composition musicale, les répétitions. Nous y avons mis tout notre cœur. Nous avions tellement hâte de faire découvrir tout ce travail. D’autant plus que nous en avions été privés pendant plusieurs mois. Il y a eu une rage terrible dans tout ce qu’elle a de positif et de négatif. Il reste néanmoins cette impatience profonde de retrouver la scène et le public. Maintenant, il ne faut pas s’écrouler. Je sais l’équipe de comédiens et de techniciens solide ».

Laëtitia Botella, fondatrice des Nuits vertes, comédienne et metteuse en scène havraise, avait cependant quelques pressentiments. « Une semaine avant, j’ai senti que c’était chaud ». Comment alors trouver l’énergie pour jouer ? «  Quand nous avons repris les répétitions, j’ai donné un mot d’ordre : vaille que vaille, nous devons aller jusqu’à la création. Il faut que le spectacle naisse ». Une bonne nouvelle pour Les Nuits vertes : plusieurs dates de cette fin d’année 2020 sont reportées au printemps et à l’automne 2021.

Sous pression

Aujourd’hui, il est facile de parier que le texte d’Alexandra Badea, inspiré de faits réels,, sera toujours d’une actualité brûlante. Breaking The News revient sur le flux incessant d’informations et sur la manière dont il est possible de le digérer et de s’en préserver. C’est la parole de quatre personnages, seuls, manipulés et pris dans le tourbillon d’un système pervers et écrasant, qui expriment des peurs, une faiblesse et des doutes.

Il y a tout d’abord un journaliste, fatigué, envoyé sur un conflit armé. Là-bas, il subit la pression de son rédacteur en chef à la recherche de l’image choc pour accroître les ventes de son journal. Il la lui donnera après l’avoir fabriquée. Une première dame ambitieuse, jusqu’alors dans l’ombre, n’hésite pas à mettre en scène un adultère afin de permettre à son mari, président, de faire passer quelques réformes impopulaires en temps de crise. Troisième personnage : une comédienne, en manque d’image, ambassadrice d’une ONG en Afrique, se laisse embarquée pour une publicité sur du lait en poudre fabriquée par une entreprise peu soucieuse des réalités et de la vie des habitants. Enfin, un directeur de campagne n’a pas de scrupules à passer des accords avec un adversaire pour faire gagner son candidat lors d’une élection. 

Miroir de nos vies

Voilà quatre personnages, joués par Vincent Fouquet, Jade Collinet, Laëtitia Botella et Ismaël Habia, avec une part monstrueuse en eux qui font fi d’une éthique. La metteuse en scène les installe dans un rythme, dans une ambiance electro froide où il y a peu de place pour les sentiments et dans un décor mouvant fait de grands panneaux en Plexiglas. Tous se retrouvent désemparés et piégés dans ce palais des glaces à la recherche d’une sortie qui ne peut être honorable. 

Laëtitia Botella accorde au public une place délicate. Celui-ci se trouve derrière ces écrans géants. Il est  tel un voyeur, un observateur d’un monde où tout est tronqué. Lui aussi piégé par toutes ces manipulations. Ces cloisons peuvent être aussi le miroir de nos actes. Il est alors bien difficile de détester ces quatre personnages touchants qui veulent sauver leur peau

Comme les intermittents « en danger aujourd’hui. Plus que jamais, créer, c’est faire de la résistance. Il faudra faire avec nous. Rien ne pourra nous empêcher de faire notre métier. Certes, nous ne sommes pas mentionnés par les politiques. Comme si nous n’existions pas. Mais le public ne nous oublie pas. Il y a donc une véritable urgence à créer pour préserver cette ouverture intellectuelle d’un pays et penser le monde ».

  • Université populaire avec Laëtitia Botella avec Le Volcan et l’Université Le Havre Normandie lundi 23 novembre à 18 heures sur zoom
  • Photo : Gauthier Thype